Réaction à l’article de Sylvestre Huet :
« Le gendarme du nucleaire doit savoir resister aux pressions. »
http://huet.blog.lemonde.fr/2016/11/25/le-gendarme-du-nucleaire-doit-savoir-resister-aux-pressions/
Commentaire :
On n’était guère habitué à une certaine complaisance du meilleur journaliste scientifique de France en matière de nucléaire avec son interviewé. C’est dire si le sujet est délicat et complexe. Bon, reconnaissons qu’il fait quand même un peu le job en poussant M. Chevet dans ses retranchements. Il ouvre le débat.
Résumons la thèse de ce commentaire partagé par beaucoup de professionnels attachés à l’intérêt général, et extrêmement scrupuleux en matière de sûreté :
L’ASN indépendante est un acquis sacré qui rassure autant les antinucléaires que les pro-nucléaires. Seul Hollande est venu instrumentaliser éhontément la fermeture de Fessenheim pour des raisons purement politiques.
Mais l’ASN dérape depuis un certain temps.
Mettons de coté les inexcusables falsifications du Creusot, très probablement négligeables sur le fond, mais ô combien choquantes sur la forme.
Et restons sur la question du taux de carbone dans l’acier des boites à eau des générateurs de vapeur.
Illustration : Si une femme est sur le point d’accoucher et que la limite de vitesse a été baissée sur route de 90 à 80, est-il inacceptable de rouler à 80 km/h pendant le temps ou l’urgence est forte ?
La norme ayant été durcie de 0,3% à 0,2%, les pièces du Creusot atteindraient 0,30 % et celles du Japon 0,39 %. Aucune force majeure même en cas d’accident ne vient menacer la sureté nucléaire dans ces conditions. Les essais à 225 bars pour des conditions actuelles à 155 le prouvent.
Et la concomittance de conditions critiques n’est pas envisagée :
J’ai du mal à croire :
– qu’un risque de rupture de la cuve à la suite d’un choc froid soit imminent car depuis plus de 30 ans cela n’est jamais arrivé (monde). Dans quelles condition la temperature de la cuve peut-elle tomber sous le seuil de non ductilité sans qu’en même temps la pression soit tombée à une valeur inférieure à celle pouvant faire craindre une rupture ?
– ce n’est pas parce qu’on a baissé la norme de teneur en carbone de 0.3% à 0.2% que le risque a augmenté.
A la limite, l’arrêt d’une seule unité de GV de chacune des deux sources génériques (Japon et Creusot) pourrait se justifier. Pour se rassurer via les controles non destructifs mentionnés (ultrasons,..). Puis lisser les autres vérifications au printemps et l’été.
Mais, suite au questionnement très pressant de l’ASN, l’opérateur EDF a décidé de précéder le calendrier et d’arrêter par vagues tous les réacteurs concernés, ceci entre l’automne et l’hiver, alors que l’ASN aurait pu accepter un calendrier plus espacé vu l’importante morbidité possible consécutive à un éventuel black out en cas de grand froid. Ou un probabiliste ilotage raté d’un réacteur arrêté.
Alors pourquoi un tel zèle ?
Le manque de compétence et de courage. Nullement la sécurité. Une enquête parlementaire diligentée par l’OPECST, après vote du législatif, devrait le déterminer. N’y comptons même pas vu les mentalités actuelles.
Un mot pour qualifier cette dérive :
La règle tatillonne a remplacé l’esprit de la sûreté. Il n’y a qu’à voir la fermeture d’Osiris qui prive la médecine des radionucléides médicaux dont les patients ont besoin soit pour des traitements soit pour du diagnostic. On aurait voulu qu’Osiris devienne une centrale bunkerisée. On exige que le réacteur Jules Horowitz soit construit avec les règles de l’EPR… D’où les décalages de planning et du montant financier. Alors que penser de leurs demandes pour Astrid ?
Ces gens intelligents placés à l’ASN et à l’IRSN sont travailleurs mais ils débattent du sexe des anges. Ils ne se rendent pas compte que la sûreté a un optimum. Or cet optimum est largement dépassé. Et bien au contraire, certains matériels et systèmes que l’on ajoute sont autant de sources de défiabilisation et donc vont à l’encontre de la sûreté. Il faudrait que l’on ne puisse être recruté dans ces 2 organismes qu’après avoir fait 5 années de terrain. PFC a fait partie du BCCN, il connaît donc les problèmes de forge et de métallurgie. Mais Jean-Christophe Niel, Directeur de l’IRSN, est un pur produit de l’administration française.
La méfiance vis à vis des exploitants et des constructeurs est portée au paroxysme en oubliant que nous avons un parc au top niveau de la sûreté grâce à l’exploitation en continu du retour d’expérience mondial. Ce n’est pas le cas à ce point aux USA par exemple. Le Fessenheim d’aujourd’hui est beaucoup plus sûr que le Fessenheim qui a démarré en 1977.
L’ASN oublie que 58 réacteurs qui ont 24 ans d’âge moyen représentent plus de 1 000 ans de retour d’expérience sur un seul design de REP et que nous n’avons jamais connu d’incident sérieux depuis l’origine. L’ASN est devenue tellement méfiante en matière de sûreté que son attitude aurait tendance à démotiver les personnels des centrales. Les péripéties sur les ségrégations de carbone des boites à eau des générateurs de vapeur sont du pain béni pour les X Mines de l’ASN et de l’IRSN qui se lancent dans des études hors sol.
Et ils font de la sûreté papier et pas assez de la sûreté de terrain.
Remarque du Haut Commissaire Y.Bréchet à l’OPECST sur la norme #ESPN :
« Il semble qu’il n’y a pas eu un partage entre le fabricant, l’exploitant et l’ASN. La question d’une norme plus sévère doit être justifiée par un gain de sûreté. »
Venant d’un expert en métallurgie, cette phrase est très sévère vis à vis de l’ASN.
Le problème est que l’ASN considère que sa mission ne concerne rigoureusement que les risques nucléaires et pas les autres.
C’est sur ce principe que l’ASN a demandé l’arrêt du réacteur Osiris, qui fabriquait la plupart des radio-éléments à usage médical en France. Combien de pénurie d’examens, de surmortalité puisque la production mondiale est au seuil critique ? Les pays modestement riches devront y renoncer ? Qui fera le bilan et qui assumera ?
Au nom de son « indépendance », et peut-être parce qu’elle a été définie ainsi (le « N »), l’ASN se fait un dogme de ne pas tenir compte des conséquences de ses décisions, qu’elle les connaisse ou non.
Les Français ne sont pas assez conscients de ce qu’entraînerait un black-out d’une journée. Personne ne croit à cette possibilité, qui est pourtant une probabilité grandissante mais évitable.
Le 14/11/2016 on est pas passé loin de la rupture à 19h (St Alban 2 indisponibilité partielle). Hydraulique poussé à 10,9 GW (normalement 5). Maximum thermique disponible. Imports 5,8 GW. Peu avant la section de 4 câbles sur 8 en Manche pour l’interconnexion avec la GB suite à un bâtiment en détresse qui se sert de son ancre. Les aléas sont omniprésents, incertains. N’approchons pas de la limite.
Pour RTE: La situation ne sera-t-elle pas critique fin décembre 2016 où nous risquons d’avoir 4 tranches arrêtées, 7 en cours de redémarrage, 4 tranches en contrôle. Soit 15 unités arrêtées dans les deux dernières semaines de décembre et les 2 premières semaines de janvier si l’ASN tarde à autoriser les redémarrages.
L’ASN ne veut voir que la sûreté. Et RTE est dans le déni du black-out. Ni l’un, ni l’autre ne veille à la satisfaction de l’intérêt général.
Mais le black-out est une situation où la moitié des tranches passerait à l’arrêt faute d’avoir réussi à s’ilôter, ce qui signifie des heures de fonctionnement sur les seuls groupes électrogènes de secours, et des opérations de black-start toujours délicates.
RTE répond délestages tournants, baisse de tension, effacements, pour éviter le black-out. Organiser la pénurie économique. Un fiasco annoncé. Sauf qu’à ma connaissance, RTE n’a jamais fait d’essai de délestage tournant. Et que l’on peut s’engager dans des délestages tournants et finir en black-out.
Par ailleurs, la surveillance des paramètres du réseau français est bien faite et nous disposons depuis le grand black-out de 1978 de dispositifs de délestage automatique. Mais un black-out, comme celui récent du Sud Est de l’Australie (causé par l’éolien) arrive au bout de 8 secondes de déséquilibre et est arrivé de l’extérieur de la zone. (Quand on pense que l’ADEME ose publier une projection « 100 % renouvelable en 2050 » précise seulement à « l’heure » et que le ministère tolére que M. Lechevin y intègre des chiffrages économiques… Électoralisme quand tu nous tiens…).
Or, dans la situation actuelle, le déséquilibre peut provenir soit d’un pays adjacents comme ce qui s’est passé en Allemagne le soir du 04-11-2006 qui a fait démarrer au maximum la chaîne hydro-électrique de la Durance, soit de la mise hors service d’une interconnexion. Et dans ces cas-là, RTE ne voit rien arriver.
Et concernant le « chiffrage économique d’un black-out électrique » via l’Association des entreprises électriques suisses.(10 Mds€/j en Fr) voici un lien : https://t.co/https://t.co/ozedP6rW3R
situation où la moitié des tranches passerait à l’arrêt faute d’avoir réussi à s’ilôter, ce qui signifie des heures de fonctionnement sur les seuls groupes électrogènes de secours, et des opérations de black-start toujours délicates ?
En démocratie libérale, le législatif appartient au Parlement, qui, avec l’#OPECST s’est donné des moyens d’expertise stratégique, mais la décision immédiate doit échoir à l’exécutif. Problème : aucun gouvernement n’est en état de se « mouiller » pour décider, après consultation. On a délégué le rôle décisionnel à un organisme technique suite à l’ignorance et au refus des gouvernants de prendre leurs responsabilités. Aucun garde-fou n’a été prévu pour un recourt face au zèle éventuel de cette AII indépendante.
Au Canada, le gouvernement a su le faire, conduisant leur présidente de l’ASN à démissionner. L’arrêt précipité d’un réacteur à vocation médicale a ainsi été quelque peu différé.
Fin du commentaire.
Pour en savoir plus :
ANNEXE: COURRIER DES LECTEURS DU MONDE SUR LE SITE :
Bonjour,
j’apprécie bien les articles de votre blog. Je me permets de vous écrire parce que je ne suis pas sûr que votre point de vue sur les besoins de l’ASN soit bien fondé. En effet, il existe un rapport gouvernemental qui répond déjà aux demandes de recrutement de cet organisme, et qui conclut à la (quasi-)suffisance de ses effectifs:
http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/010226-02_rapport_cle211bbe.pdf
Je crois que vous feriez une erreur en l’ignorant. Il est un problème que l’ex fonctionnaire que je suis connait bien, c’est la très grande difficulté qu’a
un dirigeant à admettre que son personnel est suffisant (je ne parle pas de la situation où on lui demanderait de diminuer!). [je suis dirrecteur de
Recherches émérite au CNRS, physicien]. De plus, une bonne gestion de la formation de son personnel pour répondre à des missions changeantes fait partie d’une bonne direction de service.
Plus généralement, il me rappelle que dans votre blog après Fukushima (à libé, alors_je suis incapable de retrouver où..), vous avez demandé que l’énergie nucléaire exclut pour son avenir tout accident. Je pense qu’il est impossible d’avoir une certitude absolue, sauf à un prix infini. C’est peut-être ce que veut obtenir Chevet depuis ce refus qu’il a essuyé ? Il s’agit d’un problème
presque philosophique: comment garantir absolument qu’une activité humaine ne posera pas un jour de problème? Je viens de lire votre papier sur la vaccination et les réactions qu’il a suscitées, et je trouve cela très révélateur.
Spécifiquement, il existe ici un problème: on donne à l’ASN un pouvoir sans aucun garde-fou: Chevet peut donc aggraver tout incident s’il a besoin de dramatiser ses demandes de postes. Cela a pour conséquence qu’il a fallu saisir l’OPECST pour réfléchir à ce problème de donner un pouvoir
discrétionnaire à un organsime, sans aucune possibilité de débat [je pense que vous pouvez obtenir des infos là dessus].
Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais j’insiste pour que vous exerciez là vos remarquables talents d’enquèteur, et que vous ne preniez pas pour argent comptant ce que vous disent les gens les plus faciles à interviewer.
Merci pour votre excellent travail.
«
Frederic Livet
Simap-Phelma
Sources :
Présentation @ASN: Les ressources humaines. 483 agents
s’appuyant sur l’IRSN : 1 827 agents (Parc générique)
Total = 2 310
https://www.asn.fr/L-ASN/Presentation-de-l-ASN/Les-moyens/Les-ressources-humaines
Présentation l’IRSN @suretenucleaire @radioprotection RESSOURCES HUMAINES :
1 827 collaborateurs (Parc générique). http://www.irsn.fr/FR/IRSN/presentation/Pages/Chiffres_Cles.aspx
Précision le 30/11/2016:
Problème soulevé par ce rapport : ils ont
un souci parce qu’ils ont des corpsards des mines qui ne restent que 3 ans à un poste, et qu’il faut un an pour les former: ils sont donc utiles 66%
de leur temps. (lire p. 22 le point 3.1 etc)
Croire qu’on forme un bon ingénieur scientifique et technique, même en 3 ans, c’est croire au
père noel. Cela pose le problème de ce type de gestion. Autant on peut changer des cadres de la haute administration, autant faire valser des
ingénieurs à ce régime est une assurance de leur incompétence, fussent-il des corpsards des Mines…
Cela a fait problème aussi dans l’usine d’Areva qui forgeait les grosses pièces pour le nucléaire: les boss ne restaient que 2 ans. Règle sans
doute due à Lauvergeon, qui ne recrutait que dans son corps de Mines. Il est impossible à un directeur d’usine de production d’être efficient en
seulement 2 ans.
Je crois que cela montre le mépris dans lequel nos « élites » ont tenu les problèmes industriels. C’est évidemment lié à l’ambiance générale de critique de la « technoscience ».
Mais je ne voudrais pas paraître injuste avec nos amis qui honorent ce grand corps de l’état.
Fin