La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) découle de la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et s’articule avec la stratégie nationale bas carbone présentée le 18 novembre 2015 en Conseil des ministres. Cette PPE est actuellement en cours de révision et sera finalisée d’ici fin 2018 sous la forme d’un nouveau décret. On ne sait pas encore ce qu’elle conclura mais on peut bien sûr d’ores et déjà présager du fait qu’elle amplifiera, à l’instar de la PPE de 2015, la contribution des énergies intermittentes qualifiées de vertes et renouvelables que sont les énergies solaire et éolienne, au dépens de l’énergie nucléaire qui est la vraie cible.
Mais il paraît légitime de s’interroger sur les qualificatifs de vert et de renouvelable utilisés qui sont entrés dans le langage commun, parant ces sources d’énergie de toutes les vertus dans une sorte de consensus digne de notre époque dominée par les diktats de la pensée unique.
En réalité, toute forme de production d’énergie implique une transformation d’un état physique à un autre état physique et toute transformation génère au côté de l’objectif recherché des effets collatéraux non désirés au départ.
Ainsi le CO2 dégagé par les centrales fossiles ou l’atteinte aux territoires et la destruction des écosystèmes pour l’énergie hydraulique ou encore la production de déchets, générés par les centrales nucléaires, qu’il convient de gérer efficacement.
Et l’énergie éolienne ou solaire n’échappent pas à la règle.
La lecture d’un ouvrage récemment paru fournit un éclairage extrêmement bien documenté sur le sujet. Il s’agit d’un essai réalisé par le journaliste Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares – La Face cachée de la transition énergétique et numérique (éd. Les Liens qui Libèrent). L’auteur qui a réalisé une enquête durant six ans dans une douzaine de pays décrit les effets collatéraux résultant de l’exploitation de ces formes d’énergies qualifiées de “green-tech ».
Que dit-il ?
Ces énergies sont en effet vertes dans la mesure où elles ne produisent pas de CO2 sur les lieux de production des kWh. Mais il faut regarder l’ensemble du cycle de fabrication des panneaux solaires et des éoliennes.
Et le problème présente une ampleur particulière. De fait, en se fondant sur les perspectives de croissance du scénario « Sustainable Development » du Conseil de l’Energie Mondiale de 2017, la capacité installée mondiale des éoliennes devrait être multipliée par 5 d’ici 2040 (de 466 GW en 2016 à 2629 GW en 2040) et celle des panneaux solaires PV par 10 d’ici 2040 (de 299 GW en 2016 à 3246 GW en 2040). Pour faire face à cette demande explosive, la fabrication de ces nouvelles capacités implique le recours à des quantités considérables de métaux de base et de terres rares qu’il va falloir extraire du sous-sol.
A titre d’exemple, une éolienne dispose d’un ensemble d’équipements dont un ensemble rotors/stators qui sont un panaché de fer, de bore et de terres rares (néodyme-fer-bore dans la majorité des cas, avec de plus petites quantités de dysprosium et de praséodyme).
La fabrication des panneaux solaires dépend également d’un approvisionnement en terres rares qui ont nom, en fonction de la génération des panneaux fabriqués, cadmium, tellure, indium, gallium, sélénium ou encore titane ou ruthénium.
Or, nous dit G. Pitron, que constate-t-on ?
Energies « vertes » ?
L’approvisionnement en terres rares nécessite la mise en œuvre et l’exploitation de mines très polluantes, concentrés actuellement en Chine à près de 95%. En outre, la durée de vie des réserves rentables des principaux métaux nécessaires à la transition énergétique se chiffre, en cas de boom, en dizaines d’années.
L’exploitation de ces minerais est un cauchemar environnemental où se côtoient rejets de métaux lourds, pluies acides, et eaux contaminées. Ces impacts sanitaires sont pour l’essentiel concentrés actuellement dans la ville de Baotou en Mongolie Intérieure sur le site de Bayan Obo (Le Monde du 19 juillet 2012). L’extraction des terres rares nécessite la mise en ouvre de procédés métallurgiques et des bains d’acides. Cette importante pollution vient du fait que la faible concentration en métaux rares entraîne l’utilisation d’une énorme quantité de solvants. Les effluents générés sont, après usage, rejetés dans l’environnement, sans compter la présence de matériaux radioactifs tels le thorium ou l’uranium qui génèrent une activité non négligeable au fonds des mines de Bayan Obo.
Le succès de Bayan Obo vient du fait que des normes environnementales plus strictes ont été imposées à des activités d’extraction précédemment exercées en France ou aux Etats-Unis. Ainsi, dans les années 1980, le site de l’usine Rhône-Poulenc (devenu Rhodia et maintenant Solvay) de La Rochelle purifiait annuellement 8 à 10.000 tonnes de terres rares, soit 50% du marché mondial. Mais tant la question des effluents produits que celle de l’accumulation du sous-produit thorium, a conduit l’usine à arrêter ces activités en 1994 en se tournant vers des partenaires chinois pour réaliser la première partie du raffinage. De même, les Etats-Unis avaient pris jusqu’en 1985 le leadership de la production de terres rares avec la mine de Mountain Pass dans le désert du Mojave. Mais la même problématique de pollution due aux rejets d’effluents et de sous-produits radioactifs lors de l’extraction et du raffinage du minerai a eu finalement raison des activités de cette mine qui a cessé ses activités en 2002 au profit d’approvisionnement en provenance de Chine. C’est ainsi que ces opérations hautement polluantes ont cessé en Europe ou aux Etats-Unis au « profit » d’une production chinoise.
Energies « renouvelables » ?
Ces énergies sont dites renouvelables en effet car elles exploitent des ressources sur les lieux de production, le vent et les rayons solaires, dont nous pouvons disposer à notre guise sans risque d’épuisement. Mais, elles se fondent sur l’exploitation de matières premières qui, elles, ne sont pas renouvelables. En effet, la consommation mondiale de métaux et en particulier de métaux rares qu’il va falloir extraire du sous-sol pour tenir la cadence de la lutte contre le réchauffement climatique va croître à un rythme de 3 à 5% par an pour satisfaire les besoins mondiaux à moins qu’on ne finisse par préférer des technologies énergétiques moins consommatrices de ressources naturelles
La conclusion d’ensemble aboutit à une constatation effarante : le monde va consommer davantage de minerais (certes pas seulement destiné à la fabrication des éoliennes et des panneaux solaires mais en partie significative) durant la prochaine génération qu’au cours des 70.000 dernières années. « Nos 7,5 milliards de contemporains vont absorber plus de ressources minérales que les 108 milliards d’humains que la Terre a portés jusqu’à ce jour ». Ainsi, au rythme actuel de production, les réserves rentables d’une quinzaine de métaux de base et de métaux rares seront épuisées en moins de 50 ans. Certes, des découvertes, telles celle faite au large de l’archipel d’Ogasawara, à 2 000 kilomètres au sud-est de Tokyo qui contiendraient de grandes concentrations de terres rares, permettront d’accroitre les réserves rentables mais cela ne fera que retarder l’échéance. Sans compter que l’accès à ces ressources génère d’ores et déjà un problème stratégique de sécurité d’approvisionnement si la Chine venait à utiliser sa production comme arme géopolitique.
Energies dé carbonées ?
Il faut des quantités considérables d’énergie pour exploiter une mine, raffiner les minerais puis les acheminer vers un centre de production où ils seront incorporés dans une éolienne ou un panneau solaire. Et si les moyens de production d’énergie en question sont des centrales fossiles, le bilan du cycle de vie de production de ces éoliennes ou ces panneaux solaires n’est plus dé carboné comme peut l’être l’éolienne ou le panneau solaire sur son lieu d’activité. Cela revient de fait à dépolluer de CO2 les pays qui se dotent de ces moyens de production au détriment des régions où s’exerce l’activité minière génératrice des ressources destinées à ces moyens de production.
Le recyclage ?
On pourrait être sauvé par le recyclage. En effet, nous dit G. Pitron, la sobriété énergétique pourrait être rendue possible par le recyclage des métaux rares à grande échelle, qui atténuerait dès lors les impacts écologiques de leur exploitation. Il y a de fait des initiatives importantes prises en particulier au Japon pour mettre en place une économie du recyclage en général et des terres rares en particulier. Toutefois, cette ambition vertueuse rencontre une difficulté de taille : à l’inverse des métaux traditionnels tels le fer, l’argent ou l’aluminium, les terres rares n’entrent pas à l’état pur dans la composition des technologies vertes mais sous forme d’alliage aboutissant ainsi à des matériaux composites permettant de démultiplier leurs propriétés en comparaison des métaux simples. Ainsi, par exemple, les rotors/stators des éoliennes cités plus haut sont constitués de fer , de bore et d’alliage de terres rares qui permettent d’optimiser leur puissance. La récupération et le recyclage de ces différents éléments deviennent donc très complexes, souvent très onéreux, et donc non pratiqués.
On le voit, avant de qualifier les énergies éoliennes et solaires de vertes, de dé carbonées ou renouvelables, il faut s’entourer d’un certain nombre de précautions et de précisions afin d’éviter demain des réveils douloureux quand on s’apercevra que le bilan carbone de la transition énergétique n’atteindra pas, au niveau mondial, les objectifs attendus.
Dans le contexte de révision de la PPE, il est dès lors capital que les choix stratégiques qui seront faits prennent en compte en toute objectivité les différentes sources de production d’énergie électrique technologiquement disponibles sans jeter l’anathème sur l’une ou l’autre, l’approche rationnelle et scientifique devant être préférée à toute pensée unique potentiellement génératrice d’erreurs irréversibles.
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