Mylène, Pierre et Jacques sont attablés à la terrasse du Café du Commerce.
MYLENE Voilà c’est fait. Pour en finir avec EDF et son nucléaire, je viens de changer de fournisseur d’électricité. Mon nouvel abonnement garantit une origine renouvelable aux électrons que je vais recevoir.
PIERRE Tiens, c’est nouveau ! Vous recevez des électrons ?
MYLÈNE Evidemment, le courant électrique, ce sont bien des électrons qui circulent dans les fils, non ?
PIERRE Désolé de vous contredire, mais les électrons ne circulent qu’en courant continu et alors très très lentement. En alternatif, ils oscillent sur place, toujours avec une sage lenteur.
MYLENE Ce n’est pas possible. Quand j’agis sur l’interrupteur qui commande ma lampe de chevet au bout de trois mètres de fil, elle s’allume tout de suite. C’est bien que les électrons arrivent presque instantanément. Donc ils sont rapides.
PIERRE Vous avez de curieuses notions d’électricité. C’est le signal de mise en mouvement des électrons qui se propage très vite.
MYLENE Et les électrons alors ?
PIERRE Un courant dans un fil conducteur, ce sont des centaines de milliers de milliards de milliards d’électrons en mouvement. Je fais un rapide calcul d’ordre de grandeur : dans l’ampoule à filament de la lampe de chevet, il va passer un quart d’ampère ; je prends pour les fils de cuivre une section d’un quart de mm2 et je vais trouver à peu près un dix millième de mètres par seconde. Cela nous fait du 36 à l’heure.
JACQUES 36 kilomètres ?
PIERRE Non 36 centimètres. Ces électrons sont cent mille fois plus lents qu’un coureur de 100 mètres de classe internationale.
JACQUES Ce calcul s’applique t’il au continu ou à l’alternatif ?
PIERRE Aux deux mon capitaine. Dans le cas de l’alternatif, le chiffre que j’ai donné représente une vitesse moyenne d’oscillation autour d’une position dont l’électron ne s’éloigne pas de plus d’un dix millième de millimètre, 100 fois par seconde.
MYLENE Mais alors comment puis-je savoir si mes électrons sont bien verts comme l’affiche mon nouveau fournisseur ?
PIERRE Ils ne seront jamais verts, pas plus que rouges ou bleus. Ils oscillent en même temps que tous les électrons du réseau synchronisé qui couvre l’Europe occidentale dont la France. Ils n’ont aucun lien physique avec tel ou tel générateur couplé au réseau. S’il est honnête, votre fournisseur doit acheter exclusivement à des exploitants de fermes éoliennes ou solaires ou d’usines hydroélectriques les kilowatts heure qu’il vous revend. L’habit vert est purement administratif.
JACQUES Aurais-je tout compris ? Le réseau m’apparait comme la corbeille d’une bourse avec des vendeurs et des acheteurs. Sur le marché de l’électricité, on échange des kilowatts heure contre des euros et les uns n’ont pas plus de couleur que les autres n’ont d’odeur. Tout se ramène à une simple question de comptabilité, domaine familier pour un financier.
MYLENE Et mes électrons dans tout çà ? Ils passent à l’as ?
PIERRE Tout juste. Ils ignoreront à tout jamais d’où vient l’énergie qui les secoue. Jacques a raison. L’énergie sur le réseau prend l’aspect d’une valeur d’échange. Mais il ne faudrait pas en conclure que l’énergie c’est comme de la monnaie au signe près. Il y aura toujours une différence fondamentale. L’énergie, nous disent les physiciens, obéit à une loi de conservation, je ne crois pas que ce soit le cas de la monnaie…
JACQUES Je confirme.
MYLENE Et moi je paie un fournisseur à qui je suis bien obligé de faire confiance pour me livrer de l’électricité propre.
PIERRE Il y aurait bien un moyen d’acquérir une certitude… mais cela suppose de lourds investissements : une installation électrique déconnectée du réseau avec des panneaux solaires sur le toit, une éolienne dans le jardin et un stock de batteries pour les nuits sans vent et les longues situations anticycloniques de l’hiver.
JACQUES Mais qui, à part quelques rêveurs, serait prêt à gérer totalement sa production et sa consommation d’électricité au lieu de s’adresser à un service public qui se charge de tout ?
MYLENE Moi ! Je veux bien faire partie de ces rêveurs comme vous dites et je souhaite en effet un changement de paradigme. Seulement j’habite au troisième dans un immeuble de huit étages, en pleine ville et mes voisins n’ont pas comme moi la fibre militante. Je ne me vois pas proposer une telle révolution en assemblée générale.
PIERRE Eh oui, les problèmes des villes et surtout des plus grandes agglomérations, ces mégapoles qui dépassent 10 millions d’habitants, ne sont pas les mêmes que ceux d’une maison isolée à la campagne. Bien des spécialistes pensent que 100% d’énergies renouvelables ne peuvent satisfaire aux besoins de nos sociétés modernes. Ils sont en phase avec le GIEC qui, en plus de développer les renouvelables, préconise de mettre en œuvre le captage et le stockage du CO2 associés aux énergies fossiles et en même temps de poursuivre l’électronucléaire. Et qu’importe la couleur d’électrons dont je crois vous avoir montré qu’ils n’en ont pas. Sur ce, à la vôtre !
Jean-Louis Bobin