Le nucléaire ne peut sauver le climat si on en construit très peu

Le Monde publie toujours des articles spécieux à propos de l’électronucléaire…
Pierre Le Hir utilise encore un petit procédé scandaleux : Il explique que l’évaluation du 12 gCO2/kWh vient de la SFEN (sous entendu peu crédible) pour donner plus de poids aux « autres études » qui donnent 66 gCO2/kWh.
Et bien sur, il ne dit pas que 12 est le chiffre retenu par le GIEC; ce serait lui donner trop de légitimité.
Le Monde est décidément un repère de journalistes militants.

Le nucléaire ne suffira pas à sauver le climat

Pour les experts du climat, le nucléaire est une réponse possible, mais surtout une réponse partielle avec des dommages collatéraux.

« Pour relever le défi de l’énergie et du climat, dans le cadre d’une baisse drastique des émissions des gaz à effet de serre, le nucléaire peut jouer un rôle en France, et sans doute en Europe et dans le monde, puisqu’il présente une production totalement décarbonée. » La déclaration n’émane pas du président d’EDF, mais du ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, pourtant sceptique de longue date vis-à-vis de l’énergie nucléaire, qui s’exprimait devant les représentants de la filière lundi 28 janvier.
Ces déclarations reflètent une réalité : l’urgence climatique est en train de changer la donne du débat sur l’atome. C’est bien au regard du climat, et non plus seulement des risques associés à l’énergie de la fission, que se pose aujourd’hui la question de la place du nucléaire dans la production d’énergie. Celui-ci, font valoir ses partisans, ne génère pas – ou très peu – de CO2, ce qui le rend incontournable pour endiguer le réchauffement planétaire.
Pourtant, le nucléaire reste marginal dans le mix énergétique mondial : il ne pèse que pour 10 % dans la production d’électricité totale – la France, avec ses 75 % de nucléaire, fait figure d’exception. Dans les différents scénarios étudiés aussi bien par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) que par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il joue un rôle croissant mais limité dans les politiques climatiques. L’atome est-il alors, sinon la clé, du moins l’une des clés d’un monde plus tempéré ?

  • Une énergie peu carbonée…

L’atome d’uranium est paré d’une grande vertu : sa fission n’émet pas de gaz à effet de serre. Toutefois, la filière nucléaire n’est pas neutre en carbone. Si l’on considère l’ensemble de son cycle de vie, de l’extraction du minerai à la gestion des déchets radioactifs en passant par la construction, l’exploitation et le démantèlement des réacteurs, elle génère en moyenne 12 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure produit, indique la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), dans une étude d’octobre 2018.
D’autres études retiennent pourtant des chiffres d’émissions indirectes sensiblement plus élevés, avec une valeur médiane de 66 grammes. En tout état de cause, le bilan carbone du kilowattheure nucléaire est très largement inférieur à celui du charbon (820 grammes) et du gaz (490 grammes), et dans les mêmes ordres de grandeur que le solaire photovoltaïque (de 41 à 48 grammes selon les systèmes), de l’hydroélectricité (24 grammes), et de l’éolien terrestre ou offshore (11 à 12 grammes).
Citant une étude de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la SFEN note que depuis 1970, le nucléaire a évité le rejet de plus de 60 milliards de tonnes de CO2, l’équivalent de cinq années d’émissions du secteur électrique. Sa déléguée générale, Valérie Faudon, en tire la conclusion qu’« il ne sera pas possible de ralentir les émissions de gaz à effet de serre sans que les pays qui disposent de la technologie nucléaire ne développent ou ne renouvellent leur parc ».
Cependant, le raisonnement vaut si le nucléaire se substitue à des centrales à charbon, à pétrole ou à gaz. Ou, à l’inverse, lorsque des réacteurs nucléaires sont fermés et remplacés par des centrales à gaz comme cela a pu avoir lieu dans certains Etats américains.
Toutefois, cette logique ne tient plus si l’atome est mis en balance non pas avec les ressources fossiles, mais avec les renouvelables. Mais il faudrait pour cela disposer d’un parc renouvelable suffisamment étoffé et diversifié, avec des capacités de stockage importantes et un réseau bien géré, pour lisser la variabilité du solaire et de l’éolien. C’est l’un des arguments répétés par les défenseurs du nucléaire : les réacteurs produisent de l’électricité à la demande et de manière continue, contrairement aux éoliennes et aux panneaux solaires.

  • … mais une question d’échelle

Malgré ses atouts, l’atome est confronté à un problème d’échelle. Les 453 réacteurs nucléaires en fonctionnement dans trente pays ne fournissent qu’un peu plus de 2 % de la consommation d’énergie finale de l’humanité. Rapportée à la seule production d’électricité, leur part ne dépasse pas 10 %.
A l’échelle mondiale, le facteur nucléaire est donc aujourd’hui secondaire dans l’équation énergétique et climatique. Pour qu’il pèse de façon significative, il faudrait changer d’ordre de grandeur en déployant des milliers de nouveaux réacteurs sur le globe. Une perspective irréaliste, aussi bien sur le plan économique que technique ou géopolitique. Actuellement, une cinquantaine de réacteurs seulement sont en construction dans le monde.
Certes, l’AIE prévoit que d’ici à 2040, la production d’énergie primaire issue du nucléaire augmentera de plus de 40 %, pour l’essentiel en Chine et en Inde. Mais à cette échéance, la part de l’atome dans le mix électrique mondial sera toujours de l’ordre de 10 %, compte tenu de l’augmentation à venir de la consommation.
Se pose aussi la question des ressources d’uranium. Selon le rapport 2018 de l’Agence de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l’énergie nucléaire, les réserves connues exploitables à un coût compétitif (fixé à 130 dollars, soit 113 euros, le kilo de minerai) permettraient de couvrir les besoins en combustible, à leur niveau actuel, pendant plus de 130 ans. Le gisement est donc important mais limité, et il s’épuiserait vite si le parc nucléaire croissait de manière exponentielle. Sauf à exploiter des ressources encore hypothétiques ou aux coûts d’extraction supérieurs. Ou à mettre en œuvre de nouvelles technologies, comme les réacteurs à neutrons rapides – capables de brûler de l’uranium naturel non enrichi en matière fissile et de recycler des déchets nucléaires –, dont l’avenir est aujourd’hui très incertain.

  • Ce que disent les experts du GIEC

Dans son récent rapport sur la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle, le GIEC a étudié une multitude de scénarios permettant de ne pas dépasser ce seuil, ou de ne pas trop s’en écarter. La plupart d’entre eux prévoient une hausse substantielle du recours au nucléaire, dont la part dans la consommation d’énergie primaire devrait être multipliée par un facteur de deux à six en 2050, par rapport à 2010.
La plupart mais pas tous, précisent cependant les climatologues : certains scénarios parviennent au même résultat avec une baisse du nucléaire, en capacité installée comme en part de la production électrique. Surtout, les modélisations donnent une priorité aux renouvelables, qui devraient fournir de 70 % à 85 % de l’électricité au milieu du siècle.
En outre, le GIEC met en garde contre les dangers associés au développement de l’atome, en citant « les risques de prolifération [d’armes nucléaires] » ou « des effets environnementaux négatifs ». Dans son dernier grand rapport d’évaluation, publié en 2013 et 2014, il soulignait déjà que « divers risques et obstacles » sont attachés au nucléaire, qu’il s’agisse du fonctionnement des centrales, de l’extraction de l’uranium ou des « problèmes non résolus que soulève le traitement des déchets ».
Pour les experts du climat, le nucléaire est donc une réponse possible au réchauffement, mais une réponse partielle et non dénuée de dommages collatéraux.

  • L’exception française

Se focaliser sur l’Hexagone peut brouiller la vision d’ensemble. Avec ses cinquante-huit réacteurs en activité – le parc le plus important après celui des Etats-Unis –, qui fournissent bon an mal an les trois quarts de son électricité (un record absolu), la France est en effet un cas singulier.
Mais même dans ce contexte unique au monde, le poids du nucléaire est à relativiser. L’électricité représentant un quart de la consommation d’énergie finale nationale, l’atome fournit environ 18 % du mix énergétique total. Le gros des besoins reste couvert par le pétrole et le gaz naturel, avec une contribution encore réduite (17 %) des renouvelables.
Il est vrai que grâce à sa forte composante nucléaire, le système électrique français ne génère aujourd’hui que 22 millions de tonnes de CO2 par an (chiffre de 2016), et que le secteur de la production d’énergie dans son ensemble représente moins de 11 % des émissions nationales de gaz à effet de serre (50 millions de tonnes sur un total de 463 millions). Ce qui montre, au passage, que les efforts de décarbonation doivent surtout être menés dans les transports (responsables de 30 % des émissions françaises), le bâtiment et l’agriculture (environ 20 % des émissions dans les deux cas). La priorité restant de réduire la consommation d’énergie, dont la loi de transition énergétique prévoit la division par deux en 2050.

Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des Eaux: à gauche une photo « normale », un enregistrement d’un paysage avec la centrale. A droite : une photo « fictionnelle », retravaillée numériquement, pour illustrer l’idée : « à quoi ressemblerait ce même paysage sans la centrale ».

Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des Eaux: à gauche une photo « normale », un enregistrement d’un paysage avec la centrale. A droite : une photo « fictionnelle », retravaillée numériquement, pour illustrer l’idée : « à quoi ressemblerait ce même paysage sans la centrale ». / JEAN-PIERRE ATTAL

Pour autant, pour s’en tenir au seul secteur électrique, les scénarios du Réseau de transport d’électricité (RTE, filiale d’EDF), sur lesquels l’exécutif s’est appuyé pour bâtir la programmation pluriannuelle de l’énergie, ne font pas du nucléaire un passage obligé. L’objectif de passer de 75 % à 50 % d’électricité d’origine nucléaire ayant été repoussé à 2035, plusieurs scénarios permettent au système électrique d’être aussi performant qu’aujourd’hui en termes d’émissions de CO2 – voire meilleur –, tout en fermant de onze à vingt-sept réacteurs nucléaires. A condition de donner une forte impulsion au photovoltaïque et à l’éolien, en complément du socle que forme déjà l’hydraulique.
Y compris en France, l’action climatique ne repose donc pas inéluctablement sur l’atome. Tout au contraire, estime Yves Marignac, directeur de l’agence indépendante d’information sur le nucléaire Wise-Paris, « le recours au nucléaire s’avère contre-productif », en constituant « un frein pour la transition bas carbone », dont les ressorts les plus efficaces sont à ses yeux « un développement massif de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables ».

  • L’épreuve du marché

Au demeurant, la politique énergétique et climatique n’échappe pas aux réalités du marché. Et le nucléaire n’est plus le mieux placé.
En France même – qui n’est pas le pays le plus ensoleillé ni le plus venté –, les derniers appels d’offres ont fait chuter les prix entre 50 et 60 euros le mégawattheure (MWh) pour le solaire photovoltaïque, et à 65 euros pour l’éolien terrestre. Soit des niveaux comparables à ceux de l’électricité sur le marché de gros. Pour l’éolien en mer, ils sont encore deux fois plus élevés, mais ils baisseront eux aussi, si du moins les turbines prévues au large du littoral français finissent par tourner et par stabiliser la filière.
En face, le nucléaire, dont le parc hexagonal a déjà été largement amorti, affiche aujourd’hui des tarifs compétitifs. Mais le nouveau nucléaire sera plus coûteux. Le prix de l’électricité qui proviendra de l’EPR de Flamanville (Manche), dont EDF prévoit la mise en service en 2020, a été chiffré en 2012 par la Cour des comptes « entre 70 et 90 euros le MWh ». Il s’agit bien sûr d’un prototype et, pour l’avenir, EDF, qui promettait naguère un EPR optimisé moins cher au KWh que les renouvelables, annonce désormais un réacteur « compétitif par rapport aux énergies fossiles », autour de 70 euros le MWh. En attendant, le prix de vente négocié avec le gouvernement britannique pour les deux EPR prévus à Hinkley Point dépasse 100 euros.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie a produit, en décembre 2018, une étude sur le mix électrique français à l’horizon 2060. Elle conclut que « le prolongement d’une partie du parc nucléaire historique (…) permet une transition efficiente d’un point de vue économique et climatique ». Mais que « le développement d’une filière nucléaire de nouvelle génération ne serait pas compétitif pour le système électrique français ».
Cela, sans prendre en compte la facture d’un éventuel accident nucléaire majeur, que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire avait estimé pour la France, en 2013, à plus de 400 milliards d’euros.
Le choix politique de l’option nucléaire peut être justifié par de multiples considérations : développement ou préservation d’une filière industrielle, possibles exportations de technologies, sauvegarde de bassins d’emplois où la fermeture de centrales entraînerait une reconversion difficile. Mais il ne saurait se présenter comme l’unique, ou même la principale réponse à la menace climatique.

Laisser un commentaire