Résumé du rapport de la Commission Julien Aubert/Marjolaine Meynier-Millefert

Jean-Pierre Pervès 27 novembre 2019

Résumé du rapport de la Commission Julien Aubert/Marjolaine Meynier-Millefert

Impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Les interrogations que suscite la transition énergétique tiennent à la prise de conscience de l’écart entre, d’une part, le discours présentant cette transition comme l’instrument d’une révolution technologique et sociale souriante et maîtrisée, et, d’autre part, les conséquences vécues des choix faits à mesure que ces conséquences se déploient. La transition énergétique coûte cher
Pourtant, telle qu’elle est conçue, cet effort a une portée limitée au regard des enjeux climatiques, notre production d’électricité étant déjà faiblement émettrice de gaz carbonique. Sur ces points de nombreuses divergences entre le Président (LR) et la Rapporteure (LREM)

Sont résumés ci-après :
– Les points essentiels retenus par la commission, avec, en annexe les recommandations
– Les points de vue parfois divergents de la rapporteure : elle a la main sur la rédaction du rapport et sur les recommandations. Son point de vue l’emporte donc souvent, même si les compromis trouvés ont permis une approbation marge du rapport.
– Des compléments souhaités par Julien Aubert et une partie de la commission, avec une forte priorité sur l’éolien.

Les chapitres décrivent longuement les aides, subventions et avantages multiples. Sans conclure.

L’électricité a été souvent au cœur du débat, avec en particulier son aspect saisonnier. Les échanges sur les autres points (énergies thermiques, efficacité énergétique) ont aussi été larges mais, le mode de soutien étant moins clair que pour les ENR électriques (prix fixe ou complément de rémunération), leur chiffrage reste opaque

1- Les points essentiels retenus par la commission et exposés par Julien Aubert

A – La transition du nucléaire vers les énergies électriques intermittentes n’a aucun impact sur le CO2 et ne permet donc pas de lutter contre le réchauffement climatique (5 % des émissions de CO2) . Les choix de soutien public tendent avant tout à mettre en œuvre une nouvelle transition électrique, visant à substituer au nucléaire des énergies alternatives électriques
Impact environnemental : les énergies renouvelables consomment néanmoins plus de matières minérales et métalliques que les technologies du bouquet énergétique traditionnel, ainsi qu’une plus grande variété de métaux .

Conclusions de la Commission : constat partagé d’une politique de soutien à l’énergie électrique sans impact majeur en termes de réduction des émissions de CO2, (hors arrêt centrales au charbon) et à l’impact environnemental possiblement plus négatif qu’anticipé.
– Ce choix énergétique représente une dépense de plusieurs dizaines de milliards d’euros, en période de disette budgétaire, sur fond de crise du consentement fiscal. Cela nous amène au point 2 de cet avant-propos.
– l’opinion publique est trompée sur le véritable impact de la politique éolienne et photovoltaïque.

B – Le coût budgétaire de la politique de soutien aux énergies intermittentes se chiffre en dizaines de milliards d’euros en raison d’un modèle économique dépendant des subventions publiques et ce modèle est peu flexible. Le soutien public direct à l’éolien représente de 72,7 à 90 milliards d’euros, pour une filière appelée à représenter 15 % au maximum de la production électrique en 2028 .

La transition énergétique a beaucoup d’un commerce de subventions publiques et on pourrait même craindre une spirale du subventionnement.
Plus on développe des énergies intermittentes, plus on perturbe le modèle économique des autres modes de production : le coût marginal de production, qui est privilégiée par le rapport, occulte le coût global économique de la politique de transition électrique. Ce qui importe, c’est le coût complet (incluant les modifications du réseau qui sont nécessaires pour absorber l’intermittence, ou le coût du refoulement de l’électricité). L’augmentation des coûts de système résulte de l’ajout de moyens de production non pilotables qui bénéficient d’une garantie de priorité d’achat de leur production.
Les surcoûts sont payés par les citoyens français, mais la complexité est telle que la transition est une boîte noire . La CSPE ne finance plus la transition écologique directement mais le budget général.

D’autres surcoûts interviennent, payés par le consommateur d’électricité : financement du raccordement de l’éolien en mer ,de l’extension du réseau ENEDIS pour les intermittentes, du financement du marché de capacité.
Une chose est sûre : les auditions de la commission d’enquête ont mis en évidence l’impact des prélèvements sur les factures d’électricité et de carburant : près de 57 milliards d’euros, dont seulement une dizaine sont effectivement affectés à la transition énergétique. La commission recommande une taxe de financement de la transition énergétique s’appliquant transversalement à toutes les consommations énergétiques, à des taux différents en fonction du degré de carbonation.

C – Acceptabilité sociale : les nouvelles énergies sont grandes consommatrices d’espace . Les difficultés tiennent au rejet du gigantisme et aux conflits d’usage se trouvent démultipliées, traduisant le symbole du divorce entre une stratégie nationale « parisienne » et une mise en application complexe dans une ruralité échaudée . Des témoignages ressort l’impression désagréable de pratiques qui trahissent une vision plus proche du Far West que d’un conservatoire des écosystèmes. L’éolien est clairement apparu, aux yeux d’une très large partie des membres de la commission, comme « le mal-aimé » de la transition énergétique. Il est urgent d’abaisser les tensions en décrétant un moratoire dans les territoires impactés où les projets d’implantation sont disputés et en revoyant les règles d’éloignement par rapport aux habitations.

D – Intermittence, foisonnement et stockage :
– Les gestionnaires de réseaux doivent désormais faire face aux conséquences de l’intermittence et du caractère non pilotable des ENRi.
– Plusieurs auditions ont fragilisé l’argument d’un foisonnement efficace (existence de périodes de faible vent sur la quasi-totalité de l’Europe de l’Ouest, et corrélation des productions solaires et éoliennes à l’échelle de l’Europe).
– le stockage par batteries, n’est pas à l’échelle des besoins, même si cette technologie peut contribuer à accroître la flexibilité du système électrique et réduire les coûts d’adaptation du réseau.

E- Qu’attendre d’un saut technologique ?
La crédibilité des scénarios remplaçant la totalité de la production d’électricité d’origine nucléaire par une production éolienne accompagnée de stockage semble douteuse. Il faudrait investir dans une puissance trois fois supérieure dans le cas de l’éolien, qu’il faudra renouveler deux à trois fois compte tenu de la moindre durée de vie de l’investissement. Le système électrique éolien demanderait un montant d’investissement cinq fois supérieur au montant requis par le système électrique nucléaire, dans l’hypothèse la moins favorable à ce dernier .

La rapporteure estime que seul un investissement sur le stockage électrique permet la viabilité de la montée en puissance des énergies intermittentes. Cela revient à dire que tous les choix politiques de diminution de la part du nucléaire au profit des énergies électriques se sont basés sur un pari sur l’avenir. Or techniquement, à l’heure où ce rapport est rédigé, ce mix n’est pas viable.

Il ne s’agit pas seulement d’une discussion académique, mais bien d’une prise de risque à la dimension du système électrique lui-même, avec ses conséquences massives pour la population, en raison du niveau d’électrification des usages atteint aujourd’hui.

La variabilité de production ne permet pas de suppléer le moteur nucléaire en France et l’Europe connaîtra une méga panne électrique qui ne pourra qu’être dévastatrice en matière économique mais aussi en termes d’ordre public .

F – Une autre transition énergétique
Ce constat plaide donc pour une réorientation du soutien public en faveur des actions d’efficacité énergétique à fort impact en termes de réduction des émissions de CO2. Il faut réallouer les fonds aujourd’hui positionnés sur l’éolien et le photovoltaïque au profit des autres priorités .

Face à une demande des politique locaux d’une territorialisation de l’énergie, il serait « de bonne méthode d’articuler une mission de programmation, confiée à un commissariat à la transition énergétique, pour la planification des infrastructures de production d’énergie, avec le choix de la contractualisation comme instrument de mise en œuvre ».

La politique énergétique doit être écologique, au-delà du seul objectif carbone. Il ne peut y avoir de politique énergétique sans prise en compte des préoccupations liées à la biodiversité, y compris pour les ENR .

Le grand mérite de ce rapport est d’être resté honnête sur la retranscription des auditions, contrairement au rapport sur la sûreté nucléaire de Mme Barbara Pompili. Madame le Rapporteur, Madame Marjolaine Meynier-Millefert, a minutieusement rapporté et décrit les mécanismes complexes de la politique de transition énergétique. Je tenais à la remercier pour ce souci .

2 – La petite musique de la Rapporteure LREM

Sa stratégie était destinée à ne pas surreprésenter une ENR par rapport à une autre et à apporter une vue d’ensemble à la question posée par le Président Aubert. Certains sujets auraient mérité d’être traités « de manière encore plus approfondie mais la commission a donné largement la parole aux détracteurs des ENR notamment électriques, notamment éoliennes.
Les ramifications sont telles qu’il est impossible de considérer que les recherches et analyses l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables sont aujourd’hui suffisantes. Aucun rapport ne saura synthétiser la question( !!!).

Ce rapport, ne permettra en aucune façon de clôturer ce débat qui doit être porté devant la nation. Il est indispensable que les choix stratégiques énergétiques puissent être, dès le prochain quinquennat ( ???), discutés au sein d’une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie est indispensable.

La promesse historique d’une électricité peu chère semble vouloir être tenue coûte que coûte, y compris par des aides invisibles pour le consommateur : elle n’est pas tenable .

Rapprocher le coût réel de l’électricité produite du prix réel de l’électricité payée semblerait de nature à responsabiliser les Français vis à vis de leurs consommations quotidiennes et de leurs usages énergétiques. Nos politiques notamment de solidarité énergétiques soient particulièrement morcelées, coûteuses et inefficaces .
Une taxe unique corrigée du prix de l’augmentation, pourrait être mise en place. De systématiquement affectée pour trois tiers à la compétitivité économique, à la solidarité énergétique et à l’investissement dans la transition énergétique.

Votre Rapporteure recommande ainsi qu’une mission d’information formule des recommandations pour une politique coordonnée et efficace de lutte contre la précarité énergétique et sur les coûts évités en résultant (de santé et insertion sociale…).

Le fonds chaleur pourrait-il être doté entièrement des recettes liées à la fin des remboursements de la dette de l’État à EDF (environ 1 milliard d’euros). Les recettes des quotas carbones pourraient être affectées entièrement à l’efficacité énergétique (environ 900 millions d’euros).
Pour le chauffage, les énergies les plus décarbonées ne sont pas les solutions électriques mais les ENR thermiques (solaire, géothermie, gaz renouvelable, bois) qui n’appellent pas de production carbonée en renfort de la pointe en période de chauffage ( ???).

Il pourrait apparaître, qu’il serait économiquement plus rentable de recourir prioritairement au gaz vert (au lieu de l’électrification, dans les limites des possibilités de productions) pour une part des usages liés à la mobilité.

Le financement de la R&D ne semble pas cohérent avec les objectifs de transition fixés dans la PPE . L’hydrogène et la pile à combustible sont des clefs technologiques majeures de l’avenir énergétique et la décarbonation des transport : ils ne bénéficient que de 28 millions sur 1098.

Il faut lever les freins éventuels à l’implantation des ENR électriques soulevés par les populations locales et les recours liés à d’éventuels rejets.
L’opinion est que les pouvoirs politiques décisionnels dans le domaine de l’énergie restent en faveur de l’État. Mais une dynamique de territorialisation de la décision est portée par les régions, et par les élus locaux. Mais les critères d’appréciation retenus doivent être commun et la somme des politiques locale cohérente avec les objectifs nationaux

3 Les propositions de recommandations collectives souhaitées par Julien Aubert et 7 députés et non retenues par la Rapporteure
Le rapport étant rédigé par la rapporteur, Julien Aubert, bien qu’ayant approuvé le rapport et ses recommandations, a émis un certain nombre de critique avec 7 collègues députés.

– la Rapporteure préconise de poursuivre les subventions, tout en accentuant le soutien de l’État en amont sur le développement des projets Il ressort pourtant des auditions que le subventionnement aux énergies renouvelables coûte cher et qu’un grand nombre de filières sont aujourd’hui matures ou presque. Il convient donc de cesser toute politique de complément de rémunération pour les énergies renouvelables électriques matures (éolien terrestre et photovoltaïque).

– la Rapporteure propose de mieux prendre en compte les zones de pêches dans l’éolien en mer. L’éolien en mer doit s’orienter vers l’éolien flottant(interdiction de parcs dans des zones de pêche ou des parcs naturels marins.

– Obligation pour le promoteur éolien de provisionner chaque année, sur 15 ans, de quoi atteindre 50 000€ pour chaque MW d’éolien installé sur un compte de la Caisse des Dépôts et Consignations pour financer le démantèlement et le recyclage des éoliennes en fin de vie, et non 75 000 pour le projet, ce qui semble insuffisant.

– au niveau national, l’ADEME devrait être remplacée par un commissariat de la transition énergétique rattaché au Premier ministre qui pilotera l’aménagement du territoire en matière d’énergie.

– le « Repowering » éolien doit respecter les documents d’urbanisme et les directives paysagères, tout comme une nouvelle installation.

– Moratoire sur tout projet éolien terrestre ou maritime posé qui ne fait pas l’objet d’un consensus politique local.

D’où des recommandations non retenues dans le rapport de la Rapporteure :

Recommendations Député s’associant à la recommandation
– Mettre en place un moratoire sur l’éolien terrestre et maritime posé quand il n’y a pas de consensus politique local sur la commune impactée ou le territoire impacté. Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Vincent Descoeur ; Laure de La Raudière ; Véronique Louwagie ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin

– Privilégier le développement de l’éolien flottant, hors des zones de pêche et parcs naturels marins. Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Vincent Descoeur ; Laure de La Raudière ; Véronique Louwagie ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin
– Cesser toute politique de complément de rémunération aux énergies renouvelables électriques matures (éolien terrestre et photovoltaïque) et développer les mécanismes de soutien en amont (études, garantie aux
investisseurs pendant la phase de faisabilité). Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Vincent Descoeur ; Laure de La Raudière ; Véronique Louwagie ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin
– Rééquilibrer les crédits budgétaires consacrés aujourd’hui aux énergies renouvelables électriques matures vers les nouvelles filières énergétiques (par exemple l’hydrogène), ainsi
que vers l’habitat et les transports. Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Vincent Descoeur ; Laure de La Raudière ; Véronique Louwagie ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin
– Proportionner la hauteur des éoliennes, pâles comprises, à la distance aux premières habitations, comme le recommande le rapport de l’Académie de médecine du 3 mai 2017 (faire passer cette distance minimale à 1500 m pour toute éolienne dépassant 180 m pales comprises
ou, à défaut, limiter les éoliennes à 150 m pales comprises). Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Laure de La Raudière ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin

Vincent Descoeur et Véronique Louwagie préconisent une distance par rapport aux habitations à 10 fois la hauteur du mât
– Revenir à la programmation des éoliennes dans les documents d’urbanisme au niveau de
l’intercommunalité (plan local d’urbanisme) avec la zone de développement éolien (ZDE). Julien Aubert ; Sophie Auconie ; Xavier Batut ; Vincent Descoeur ; Laure de La Raudière ;
Véronique Louwagie ; Emmanuel Maquet ; Didier Quentin

4 – Et les aspects financiers
Sur l’impact économique persiste un grand flou. Aucun tableau global sur les financements mais une longue analyse de l’ensemble des mécanismes, sans chiffrage global.
– La TICPE finance à titre principal le CAS « TE » et en fait donc un instrument direct de financement de la transition énergétique, tandis que la TICC le finance de façon plus marginale .
– Les dépenses en faveur des énergies renouvelables au cours de ces dernières années. De 1,5 milliard d’euros en 2011, elles sont passées à 5,4 milliards d’euros en 2019 et devraient atteindre environ 7 milliards d’euros en 2022.
– Selon le directeur général de la DGEC, le soutien public à de nouveaux projets est chiffré à 30 milliards d’euros sur toute la durée de la PPE, dans les secteurs de l’électricité et du biogaz. Les projets déjà engagés représentent quant à eux 95 milliards d’euros de crédits budgétaires, dont une partie doit encore être financée.
– Le niveau de la CSPE était insuffisamment élevé pour faire face aux engagements de l’État. EDF est le principal bénéficiaire de ce remboursement de dettes, qui s’élève à 1,6 milliard d’euros en 2018, 1,8 milliard en 2019 et le reste à payer de 896 millions d’euros en 2020.
– Les investissements privés restent timides. Les investisseurs institutionnels ont mobilisé 1,8 milliard d’euros pour des projets de production d’électricité renouvelable en 2017. La Cour des comptes préconise toutefois que ces acteurs interviennent en priorité sur les filières encore peu matures, afin de ne pas se substituer aux investisseurs privés quand des technologies sont d’ores et déjà compétitives.
– I4CE estime que subsiste un important déficit de financement des énergies renouvelables pour parvenir aux objectifs de la PPE, estimé entre 1,1 et 2,3 milliards d’euros pour la période 2016-2020.
– I4CE évalue à 73 milliards d’euros en France en 2017 les investissements fossiles défavorables aux objectifs climatiques de notre pays, 71 milliards concernent le secteur des transports (nouveaux véhicules thermiques) et 900 millions le secteur de l’énergie fossile.

ANNEXE
RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

I. RECOMMANDATIONS GENERALES

II. ENR ELECTRIQUES

III. ÉOLIEN

IV. TRANSPARENCE DES FINANCEMENTS

V. MIEUX SOUTENIR LES ENR THERMIQUES

VI. ÉCONOMIES D’ENERGIE

VII. RENOVATION ENERGETIQUE

VIII. LUTTE CONTRE LA PRECARITE ENERGETIQUE :

IX. MIEUX ASSOCIER LES TERRITOIRES, PARTAGER LES CONTRAINTES ET LES BENEFICES DE LA TRANSITION ENERGETIQUE

X. MIEUX ASSOCIER LES CITOYENS:

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Fessenheim : assigner EDF et l’État français pour abus de bien social, par André Pellen

Aux présidents des trois associations suivantes…
Union Fédérale des Consommateurs – Que Choisir
233, boulevard Voltaire, 75011 Paris.

Institut national de la consommation (INC)
18, rue Tiphaine
75015 Paris

CLCV – Association nationale de défense des consommateurs et usagers
59, boulevard Exelmans
75016 PARIS

…Le collectif de défense des consommateurs « sauver Fessenheim »

Objet : assigner EDF et l’État français pour abus de bien social

Mesdames, messieurs,

Aux termes de la loi Nome votée en décembre 2010, le dispositif optionnel d’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH) permet aux concurrents d’EDF d’acheter à cette dernière une part de son courant nucléaire, à un prix de 42 euros/MWh réputé ne pas léser l’entreprise et censé stimuler une saine et loyale concurrence. La part de production susceptible d’être mise à disposition des fournisseurs alternatifs ne pouvant excéder 100TWh, soit un peu moins du quart de la production nucléaire totale.

Le pouvoir politique, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et l’Autorité de Concurrence (ADLC) disaient attendre d’un ARENH caduc en 2025 l’apparition de la concurrence dans le seul secteur de la production d’électricité́, l’acheminement de cette dernière étant assuré par RTE et les coûts de commercialisation étant inférieurs au tiers des coûts de production, chez tous les fournisseurs.

Pour l’Autorité de la Concurrence, ne pas léser l’opérateur historique signifie qu’un opérateur aussi efficace que le producteur régulé [EDF] doit pouvoir pratiquer le même prix que lui, sans subir de pertes. En d’autres termes, non seulement les Tarifs Règlementés de la Vente d’Électricité (TRVE) peuvent être contestés, mais ils doivent être calculés de telle sorte que les fournisseurs aussi efficaces qu’EDF soient en mesure de les concurrencer réellement.

Après bientôt neuf ans d’exercice, le bilan du dévoiement d’un marché prétendument libre et non faussé éclate au grand jour, dont le consommateur n’a pas fini de faire les frais : aucune concurrence de production n’a émergé de la pseudo-libéralisation « NOME » du commerce de l’électricité et il en va désormais de la survie de tous les concurrents d’EDF de demeurer accros à son électricité nucléaire.
Tant que, sur le marché européen de gros, le prix du MWh a dispensé les réputés producteurs alternatifs de recourir à l’ARENH, l’illusion a perduré qu’ils se concurrençaient et concurrençaient EDF, que la pertinente loi NOME jouait à plein, malgré que le consommateur n’en eut jamais la traduction sur sa facture !

Oui mais voilà, outre que le caractère artificiellement bas de ce prix de gros provenait et proviendra encore longtemps de la facturation hors marché du financement des renouvelables par une inflation fiscale galopante, début 2018, une sensible augmentation du prix du carbone et des cours des combustibles fossiles a propulsé durablement ce prix de gros au-dessus des 42 euros/MWh.

Confronté au détraquage de l’insolite mécanisme marchand, le gouvernement d’Édouard Philippe conseillé par la CRE a non seulement décidé de ne pas réformer ce mécanisme, mais il a amorcé la fuite en avant consistant à augmenter régulièrement le TRVE, dans le seul but de permettre à la tarification des fournisseurs alternatifs non servis par l’ARENH de continuer à pouvoir concurrencer celle d’EDF : +5,9 %, au 1er juin 2019, + 1,26 % au 1er aout et l’on parle de 3 à 4 %, courant 2020 ; ça promet !

Ainsi, non seulement le parc électronucléaire d’EDF apparait-il plus que jamais comme le noyau dur, pérenne et irréductible de la capacité de production électrique nationale, mais, selon toute vraisemblance, le pays va en attendre une production croissante, ne serait-ce, dans l’immédiat, que pour dégager les 50 nouveaux TWh que le parlement va obliger EDF à céder à ses concurrents… à un tarif dont, de surcroît, elle n’a pas la maîtrise.
Dans ces conditions, qui peut croire que l’appauvrissement délibéré du potentiel de production de l’opérateur historique, aggravé avec constance par les politiques énergétiques insanes, menées depuis 20 ans, vont dans l’intérêt général, dans celui des consommateurs en particulier ? L’État français est-il seulement légitime à imprimer sa volonté partisane à la stratégie industrielle d’une entreprise certes détenue par lui à 87 %, mais dont la fonction clé de voute de l’économie nationale n’est jamais apparue aussi prégnante ? Une démocratie digne de ce nom ne devrait pas tolérer que son gouvernement dispose ainsi à sa guise des finances d’une entreprise nationale, au point de s’arroger sournoisement un droit de vie et de mort sur ses outils de production ?

Nous observons donc que la dérive ARENH tend à conférer une responsabilité primordiale croissante aux kWh nucléaires, dans la sécurisation de l’approvisionnement électrique du pays, rendant proprement surréaliste la décision de fermer Fessenheim. Tout plaide, en effet, contre le sacrifice de cette centrale largement amortie, donc prodigue des kWh les meilleurs marchés, que l’ASN a déclarée sûre pour au moins une décennie encore, un authentique tribut électoral que la communauté nationale va devoir payer chèrement, contre vents et marées protestataires.

Vous en trouverez, ci-après, le chiffrage dans lequel n’entre pas le dédommagement qu’EDF va devoir consentir à des partenaires allemands et suisses ayant aujourd’hui un droit de tirage sur la production des deux tranches, à hauteur de 17 % pour les premiers, de 15 % pour les seconds :
En partant du constat que la valeur d’amortissement comptable est nulle à Fessenheim – quand, selon la cour des comptes, elle est en moyenne de 4 € par MWh pour le reste du parc – et du constat que le MWh sort à 29,6 € de cette usine (à mettre en regard du montant d’un impôt CSPE de 10,5 €/MWh et de celui d’un impôt « CSPE » allemand de 39,5 €/MWh !), pour produire les 12 TWh que l’arrêt définitif de la centrale va soustraire au réseau, la collectivité nationale va devoir dépenser au moins 1 milliard d’euros supplémentaires, chaque année, si l’on renonce à prolonger l’exploitation du site jusqu’à 50 ans, et près de 2 milliards d’euros annuels, si l’on renonce à la prolongation jusqu’à 60 ans obtenue par la centrale de référence, Beaver Valley aux USA, soit, au total, une ardoise d’au moins 10 milliards d’euros à la charge nette du consommateur.

Cette estimation, dont le chiffrage précis est à disposition de quiconque en ferait la demande, repose sur l’hypothèse que les 12 TWh annuels seraient produits pour moitié par des éoliennes maritimes et terrestres, au coût moyen de 150 euros/MWh (220 pour l’off-shore et 80 pour le terrestre), et, pour moitié, par de l’électricité provenant de centrales à cycle combiné au gaz, soit 110 euros/MWh (avec un coût du carbone de 50 €/t).

Ainsi, le coût moyen de l’électricité de remplacement promet-il d’être de 130 euros par MWh, soulignant un différentiel d’environ 100 euros par MWh, avec la situation actuelle.

En considération de ce qui précède, la décision gouvernementale de fermer définitivement la centrale de Fessenheim – fût-elle entérinée par le législateur ou fallacieusement demandée par la direction d’EDF – relève sans conteste d’un abus de bien social que 400 millions d’euros d’argent (de surcroit) public et de vagues promesses gouvernementales de dédommagement de l’entreprise, non contractualisées, ne sauraient acheter.

Ce bien social n’est autre que l’outil industriel dont les Français propriétaires à 87 % vont se voir spoliés et surtout se voir privés du considérable service qu’il rend à leurs finances et à leur confort ; sans parler de l’instabilité de l’approvisionnement d’une électricité dite de France ainsi introduite par ceux que leurs suffrages ont précisément chargé d’en prémunir le pays ; sans parler également du préjudice socioéconomique que les collectivités locales et territoriales impactées mettront des années à chiffrer et à en pallier les séquelles de toute nature.

Mesdames et messieurs, la conséquence logique que les soussignés tirent du réquisitoire ci-dessus consiste, par la présente, à demander instamment à vos trois associations d’assigner conjointement EDF et l’État français, pour un abus de bien social en totale rupture avec la volonté gouvernementale affichée d’enrayer la désindustrialisation du pays et avec celle de lutter contre le chômage.

Conformément à vos statuts, ces soussignés vous prient d’engager une telle procédure au nom des consommateurs d’électricité, des contribuables et des petits porteurs d’actions EDF que le pouvoir gruge depuis des années, et attirent votre attention sur les considérations suivantes :

– La caractérisation précise du délit d’abus de bien social, avec la rigueur et la précision juridiques qui s’imposent, nécessite de faire appel à un avocat spécialisé, qui devrait trouver dans cette lettre le matériau suffisant à lui permettre une exhaustive mise en forme de l’assignation.

– À titres individuel ou collectif – associations, organisations professionnelles, groupements bénévoles ou d’élus… – les soussignés constituent une union informelle de circonstance et, à ce titre, éphémère, que l’on pourrait baptiser « sauver Fessenheim ». Non seulement tous ses membres se déclarent partie prenante de la procédure que vous pourriez engager à leur demande, mais tous sont prêts à contribuer au soutien financier que vous pourriez préalablement requérir d’eux, sous une forme ou sous une autre.
Leur liste initiale est forcément non exhaustive que le succès de la publicité de l’opération pourrait considérablement allonger en continu.

– Il est de la plus haute importance qu’une procédure de cette nature aboutisse enfin, pour la salubrité du système social d’un pays dont la vie politique est en proie à des dérives croissantes et/ou inédites, compromettant comme jamais la fiabilité de la gouvernance du pays. En plus de s’imposer comme un salutaire précédent judiciaire, le plein succès de la démarche constituerait un avertissement sans équivoque à tous les impétrants politiques convaincus que l’accession au pouvoir confère l’impunité institutionnelle à leur démagogie, à leurs promesses intenables et à leurs interlopes tractations électorales.

Mesdames et messieurs, nous avons toute confiance dans votre sens de l’intérêt général, dans votre souci de servir loyalement vos mandants et dans celui d’être constamment fidèle à votre profession de foi. C’est pourquoi nous vous remercions par avance de l’inestimable service que vous ne manquerez pas de rendre à la Nation et vous prions d’agréer l’expression de notre reconnaissance en même que celle de nos meilleurs sentiments.

Pour le collectif, André Pellen, ingénieur retraité de l’exploitation du parc électronucléaire d’EDF, porte-parole d’un collectif informel de sympathisants et de professionnels du nucléaire civil, président du Collectif pour le Contrôle des Risques Radioactifs (CCRR), Toulon-Saint-Mandrier

Pour certains journalistes, l’EPR « veut notre bien à notre insu ».

https://twitter.com/PetitsMatinsFC/status/1192336935924224000?s=19

Nouveau ! JM Jancovici invité par France Culture !

Comment ne pourrions-nous pas apprécier sa prestation. Mais gardons-nous cependant de croire que notre enthousiasme est largement partagé. Comme toujours, JMJ a été brillant et percutant ; trop sans doute (pour des « intellectuels » auto-proclamés que rien n’irrite plus que d’être contesté), même s’il a réussi à contenir au mieux sa frustration ancienne vis à vis d’un des grands media qui jusque-là l’évitait (sans pour autant l’ignorer : voir la critique de Aurélien Bellanger dont il a fait l’objet, dans la « Conclusion » quotidienne du 9 Octobre 2019 : https://www.franceculture.fr/emissions/la-conclusion/lintellectuel-dominant.

Réjouissons-nous de l’entendre aujourd’hui ; une consigne de la direction ? trois jours après une ènième invitation de Bernard Laponche par Guillaume Erner, cette fois dans son Émission Superfail (de 20 mn) : « L’EPR : le nucléaire c’est cher et ça ne fonctionne pas ». Leur conciliabule avait pu enfoncer un peu plus l’industrie électronucléaire, à la faveur de la médiatisation solennelle des trop nombreuses déconvenues du projet EPR exposées dans le rapport Folz.

Dans ce contexte miné, que le présentateur n’a pas manqué d’exploiter en essayant d’enfermer son invité dans la seule question d’un nucléaire étrillé, la tâche n’était pas facile pour JMJ. Il s’en est fort bien sorti et a pu faire passer nombre d’informations qu’on n’entend jamais sur cette antenne, même s’il ne pouvait les développer.

Cependant, comme on pouvait le craindre, beaucoup des auditr(ices-eurs) n’ont pas tardé à réagir. Dès le midi, la médiatrice, à l’occasion de son point bimensuel, faisait état de nombreux messages de mécontentement vis-vis de la direction des programmes de FC pour son invitation d’un « pro-nucléaire », arrogant » de surcroît. Il est vrai que les rares invités de FC qui accordent quelque intérêt au nucléaire (on pense à Hubert Védrine et à Alain Finkelkraut) ne l’expriment que mezza-voce ; faute de connaissances précises et/ou de temps de parole. Quand on connaît les lignes éditoriales de Radio France, celles de FC et de FI en particulier, on ne peut donc s’étonner que JMJ ait pu décoiffer la bien-pensance emplie de certitudes : anti-nucléaires et pro-EnR en l’occurence. L’étonnement était plutôt que JMJ soit seul invité de FC, à cette heure de plus grande écoute… de la chaîne ; une chaîne cependant encore assez confidentielle (2,4% de part d’écoute globalement en Juillet-août 2019).

Si l’on s’en tient aux questions environnementales, les auditeurs de FC sont familiers des discours qu’ils affectionnent : ceux de Yannick Jadot, de Corinne Lepage ou de Bernard Laponche et des représentants de la CRIRAD mais aussi de beaucoup d’autres porte-paroles, de la même mouvance ; n’oublions pas Bruno Latour que l’on y vénère… On ne peut donc pas être surpris que JMJ ait été perçu comme un usurpateur sinon comme le « Eric Zemmour » de la politique énergétique.

On ne croit pas que JMJ puisse être prochainement réinvité sur cette chaîne, par quelque animateur mainstream. Peu d’entre eux oseront se frotter à sa verve et à ses connaissances sur le thème « Energie-Climat ». On aurait pourtant aimé qu’il fût invité par Nicolas Martin, dans le cadre de son émission quotidienne « la méthode scientifique ». Ne désespèrons pas cependant de trouver une émission où il pourrait se confronter à un sociologue, un anthropologue ou un neurologue, autour de la difficulté de concilier les peurs et croyances archaïques avec les réalités et vérités contre-intuitives.

Bref.

La façon dont Jean-Marc a tenu tête au journaliste est remarquable. Il a su montrer la responsabilité collective de cette profession. Il lui a très bien répondu lorsque celui-ci a dit qu’il invitait des gens « à charge et décharge » (comme si un journaliste devait considérer de la même façon des faits avérés et des contrevérités) et à bien d’autres occasions

LES CINQ MAUX DE L’EPR

LES CINQ MAUX DE L’EPR

#Flamanville

SYNTHESE

Point de vue de Jean Fluchère

Le 28-10-2019

Cinq maux sont à l’origine des problèmes rencontrés par l’EPR :

  1. Sa naissance,
  2. La débandade d’AREVA NP à la suite de la politique désastreuse d’Anne Lauvergeon.
  3. La désorganisation de l’ingénierie d’EDF après 20 ans sans construction,
  4. L’ASN et les nouvelles réglementations ESPN,
  5. La succession des présidents d’EDF.

Synthèse.

1 – Naissance.

La conception d’un réacteur franco-allemande a conduit à faire un outil hybride Framatome- Siemens d’une complexité considérable comme tout être hybride. Sa réalisation s’avère extrêmement difficile. Marier une conception des REP français et des Konvoy allemand était peut-être une bonne idée mais à l’épreuve, il aurait mieux valu partir d’un réacteur N 4 et le monter au niveau de sûreté exigé pour un G 3 +. Partir toujours de ce que l’on sait faire.

La démarche US de Westinghouse de partir d’un PWR et de le monter au niveau G3 + en cherchant à le simplifier au maximum est sûrement une façon d’envisager l’évolution plus intelligente bien que l’AP 1 200 ne paraisse pas un réacteur que l’ASN aurait certifié.

Puis il faut retenir que l’on parlait depuis longtemps de l’EPR, mais c’était devenu l’Arlésienne, et personne ne se souciait vraiment du REX finlandais et de l’impérieuse nécessité de réaliser les plans de détails et les spécifications techniques. Être passé à côté du REX finlandais en se réjouissant de voir AREVA-NP se planter a été totalement puéril et contre-productif.

2 – La débandade d’AREVA NP de Mme Lauvergeon.

L’absorption de Framatome par AREVA conduite par Anne Lauvergeon, pour de très mauvaises raisons, et le départ de tous les grands spécialistes de Framatome qui entouraient son Président Dominique Vignon a décapité une entreprise dont le savoir faire était réputé dans le monde entier.

La transformation en AREVA-NP et la perte de savoir-faire immédiate qui en a résulté s’est faite sentir dans l’engagement de la construction d’un prototype EPR loin de France. Cette opération a absorbé les gens encore compétents dans une aventure délirante.

Les déficits financiers se sont accumulés malgré la vente de beaucoup d’actifs et AREVA – NP était réellement dans l’incapacité de construire Flamanville 3.

Pendant ce temps, les compétences françaises ont disparu et le lancement de l’EPR français s’est hélas fait dans des conditions tout à fait anormales en 2007.

3 – La désorganisation de l’Ingénierie d’EDF.

Non seulement l’ingénierie EDF n’avait plus rien entrepris depuis les années 1995 mais il en allait de même de toute la filière nucléaire en France.

Le Centre National d’Etudes Nucléaires (CNEN) a voulu renouer avec les pratiques anciennes de citadelles qui régnaient dans les Régions d’Equipement d’EDF avant le lancement de la construction du parc des 900 et 1 300 MW sous l’égide de Michel Hug.

Personne n’a fait le retour d’expérience de la durée de 10 ans de construction des 4 réacteurs N4 qui était déjà un signal d’alarme sur une perte certaine de savoir-faire d’ingénierie et d’aménagement.

Le CNEN a désigné comme Directeur d’Aménagement de jeunes ingénieurs manquant par trop d’expérience pour conduire des chantiers de cette ampleur. N’y avait plus personne pour conduire ce chantier. C’est curieux. Mais il convient de dire qu’être Directeur d’Aménagement demande une présence permanente, une anticipation de tous les instants et n’est pas gratifiant même si c’est un métier difficile.

Le CNEN a marginalisé le SEPTEN qui était l’architecte industriel pendant toute la construction du parc. Mais un centre d’ingénierie ne peut pas tout faire. Il est plus pris par l’action quotidienne et manque de moyens de réflexion et de recul. Malgré les déboires de l’EPR, la leçon n’a pas été tirée et l’on ne fait appel au SEPTEN, devenu Direction Technique, qu’en dernier recours sur des problèmes inextricables pour un centre d’ingénierie. Jouer les pompiers ne forme pas à un rôle de niveau supérieur.

EDF doit remettre en place un architecte industriel.

Plus grave, le Service Contrôle de Fabrications (SCF) grâce à qui aucun matériel n’avait été rebuté lors des arrivées sur les sites avait été dispersé dans les années 1990 car il n’avait plus assez d’activités. EDF dit que ce rôle avait été repris par le regroupement de l’atelier des matériaux irradiés, du groupe des laboratoires, des spécialistes du génie civil TEGG dans un ensemble appelé le CEIDRE mais la réalité n’a pas été cela.

Le CEIDRE est constitué de gens très compétents qui ont été sans cesse submergés par les demandes d’essais métallurgiques sacrificiels. Il y n’a donc pas eu de détachements de spécialistes dans les usines des prestataires et l’on a vite vu les dégâts notamment dans les plots support du rail du pont polaire. Idem sur les chariots provisoires du pont tournant dont les défauts ont été débusqués par l’ASN. Lors de la construction du parc, la métallurgie de Creusot Forge et des usines Framatome de Saint Marcel était suivie par les ingénieurs du BCCN de l’ASN, les inspecteurs qualité de Framatome et les spécialistes du SCF. Lors de la construction de l’EPR il n’y avait plus personne pour exercer la surveillance des fabrications. Comme les forgerons les plus expérimentés avaient disparu et que l’assurance qualité papier ne garantit rien, les non-qualités ont été collectionnées. La longue litanie des fameuses fiches du Creusot a discrédité le travail des métallurgistes. Mais nous le voyons actuellement sur la qualité de réalisation des soudures des circuits eau-vapeur qui ne respecte pas le référentiel imposé. Incident qui coûte au moins trois ans sur le planning alors que les installations sont prêtes à démarrer.

Malgré tous ces déboires, il ne semble pas que le CNEN ait pris conscience de la nécessité de se remettre en question. Il joue toujours la citadelle assiégée et il conduit seul les chantiers des 2 réacteurs d’Hinkley Point ce qui est inquiétant. Reconstituer d’urgence un SCF est indispensable quand on sait qu’Hinkley Point va utiliser beaucoup de fabricants et de prestataires anglais qui n’ont plus construit de matériels et fait des prestations de qualité nucléaire.

Toutes ces non-qualités souvent débusquées par l’ASN ont donné de l’ingénierie d’EDF une très mauvaise image

Si la Direction d’EDF ne remet pas en ordre le logiciel du CNEN en lui imposant d’associer la Direction Technique qui a succédé au SEPTEN et de reconstituer un SCF, le pire est à redouter sur le site d’HPC. Et surtout il faut préparer l’avenir et se tenir prêt pour lancer les EPR 2 dans de bien meilleures conditions.

Il faut aussi savoir que l’Equipement était également un grande Direction des achats de matériels et de prestations sur la base de spécifications techniques très précises mais qui pouvaient évoluer lors des discussions avec les pétitionnaires des appels d’offres. Or depuis les années 2000, EDF s’est dotée d’une direction des achats. On comprend qu’une grande entreprise mette en place une Direction chargée des achats des matériels standards comme les km de câbles, les transformateurs 20 kV/220-380V, les compteurs Linky, les isolateurs, etc. pour réaliser des économies. Mais pour acheter des pièces lourdes en quelques exemplaires et des prestations très spéciales, la Direction des achats n’a pas les compétences. Les spécifications techniques sont complexes et la relation des acheteurs et des techniciens est indispensable.

Là aussi il est essentiel que la Direction des Achats détache quelques acheteurs de haut niveau pour former des binômes acheteurs-techniciens.

4 – L’ASN et la nouvelle réglementation ESPN.

Au début des années 2000 pour des raisons inconnues, l’ASN s’est mise en tête de durcir le RCCM et d’établir de nouvelles normes appelées EPSN.

Ces normes sont très difficiles à respecter avec les meilleurs professionnels. Et sont de plus les normes les plus sévères au monde. Dans le monde entier, à l’exception probablement de la Russie, c’est l’ASME, qui a largement fait ses preuves, qui est l’outil de construction et de maintenance.

La question posée par Yves Bréchet, Haut-Commissaire à l’Energie Atomique, devant l’OPESCT a l’ASN a été très claire : « on sait que de nouvelles normes sont toujours plus onéreuses à respecter. Le normalisateur a le devoir d’expliquer en quoi elles amènent un plus pour la sûreté ». Ceci se passait pendant l’affaire des couvercles et fonds de cuve et l’ASN n’a pas répondu à cette remarque de bon sens du Haut- Commissaire.

Effectivement lorsque cette nouvelle réglementation est arrivée en discussion entre l’ASN, AREVA-NP et EDF, personne ne semble-t-il n’a eu cette réflexion. Et les experts sont rentrés dans des discussions compliquées sans revenir aux fondamentaux. Il ressort tout de même que les experts d’AREVA-NP ont résisté à des impositions « toujours plus » mais que les experts d’EDF, toujours très disciplinés devant l’Autorité de Sûreté, n’ont pas opposé un front commun avec AREVA-NP.

Maintenant qu’elle est adoptée, on fonctionne comme avec toute réglementation, il n’y a aucune marche arrière possible et toute la filière nucléaire française est pénalisée par rapport à ses concurrents dans le monde. Il serait temps que nos fonctionnaires regardent ces aspects de la concurrence mondiale au lieu de plomber l’industrie française.

Mais le jeu des acteurs pendant la construction de l’EPR va devenir très difficile lorsque André-Claude Lacoste est remplacé par Pierre-Franck Chevet.

Ce dernier avait été adjoint d’André Claude Lacoste à la DSIN avant qu’elle ne devienne une autorité indépendante toute puissante. Il avait été reconnu comme un interlocuteur correct par les ingénieurs d’EDF et d’AREVA.

Dès sa nomination, il a été métamorphosé dans le mauvais sens du terme. Il a voulu être ami avec les antinucléaires et dragon avec ses administrés. Ce n’était plus le même homme. Il était passé de posé à quelqu’un qui avait une peur bleue.

Pour les affaires du couvercle et du fonds de cuve sur les ségrégations de carbone, il a été d’une intransigeance démesurée et incompréhensible surtout lorsque l’on sait qu’il a fait partie des ingénieurs du BCCN au Creusot et à Saint Marcel et qu’il en est même devenu le chef. Il ne pouvait pas ignorer les difficultés qu’ont les maîtres de forge à faire des lingots parfaits et homogènes. Il savait parfaitement que les couvercles et fonds de cuve n’étaient pas soumis à une fluence de neutrons rapides les faisant changer de températures de transition.

Il a fallu 2 ans et demi de travail et la destruction de 2 couvercles neufs, les réunions de l’OPESCT, de plusieurs groupes permanents sur l’ESPN pour obtenir enfin quitus de démarrage moyennant cependant le changement du couvercle après 5 ans de fonctionnement.

Mais il est allé beaucoup plus loin en faisant arrêter plusieurs tranches parce qu’il y avait des hétérogénéités de concentration en carbone sur les boites à eau de GV qui sont totalement protégées des flux de neutrons rapides et des chocs froids violents !!!

Pour les professionnels du nucléaire, cet homme vivait dans la terreur et ne pouvait plus revenir en arrière car il médiatisait immédiatement sa peur.

L’EPR n’avait pas besoin de cette période infernale.

Son mandat s’est terminé en 2018 et son successeur prend bien garde à ne pas s’épancher dans la presse avant de discuter des problèmes avec les responsables du parc nucléaire et de sa construction. Aussi sévère que son prédécesseur, comme on peut le voir avec les affaires des soudures des circuits eau-vapeur, les médias ne sont pas parties prenantes dans le processus de décision.

5 –La succession des Présidents d’EDF

Lors de la prise de décision de construire l’EPR en 2007, le Président est Pierre Gadonneix et il restera à son poste jusqu’en 2009.

Il n’a pas connu la construction du parc en exploitation et ne s’est pas trop penché sur l’organisation remarquable mise en place en 1974 par Michel Hug. Organisation qui a permis à la filière nucléaire française de démarrer un parc de 54 unités en 15 ans. Pas sûr non plus qu’il se soit beaucoup intéressé aux raisons qui ont fait que les 4 tranches du N 4 aient nécessité 10 ans pour être raccordées au réseau. Pas certain enfin qu’il se soit posé la question de l’état d’avancement du projet et du REX qu’EDF avait fait de l’EPR finlandais.

Même les premières difficultés de bétonnage ne semblent pas l’avoir trop inquiétées.

Il aurait pourtant dû constater l’impréparation du projet quand il a fallu décider de creuser le conduit de rejet des eaux tièdes en mer avec un tunnelier et pour cela doubler le diamètre du puits à terre.

Un calme olympien !

2009- il est remplacé par Henri Proglio.

Dès son arrivée, il prend conscience que sous Gadonneix, le parc en exploitation a perdu 1 % de disponibilité par an. Il en change toute la ligne managériale et lui donne les moyens de remonter le taux de disponibilité. Notamment le recrutement de jeunes pour faire face aux masses de départ à la retraite et aux moyens de leur formation.

Il prend rapidement la mesure de l’ampleur du projet EPR. Mais il passe les 2 premières années de son mandat à se débattre avec la loi NOME qui crée l’ARENH et se bat comme un chiffonnier pour arracher un prix de vente de l’ARENH de 42 €/MWh contre Mestrallet qui voulait 35 €/MWh. Bref il évite la catastrophe à EDF.

Malgré sa volonté de ne pas participer à l’affaire des Emirats qu’il juge complètement folle, il est embarqué contre son gré par Nicolas Sarkozy, persuadé que la France ne peut que gagner. Henri Proglio était persuadé du contraire mais redoutait le pire. Bien entendu la perte de ce contrat sera imputée à sa mauvaise entente avec Anne Lauvergeon.

En 2011, il est confronté aux conséquences de l’accident de Fukushima. Sur la suggestion du management du parc, il crée la Force d’Action Rapide Nucléaire (FARN) qui reste un élément essentiel de lutte contre les accidents graves. Il doit assumer avec le management du parc les examens complémentaires de sûreté et les retombées en matière de modifications lourdes post-Fukushima.

Il engage le programme de grand carénage des tranches pour permettre la prolongation de leur durée d’exploitation.

Ces affaires le détournent un peu du chantier EPR. Mais il est rapidement confronté à l’affaire des plots support du rail du pont polaire du bâtiment réacteur et au retard que cette affaire va apporter au chantier. De même il doit faire face à la découverte des anomalies des chariots provisoires de manutention du pont polaire. Deux problèmes mis à jour par les inspecteurs de l’ASN ce qui commence à l’interroger sérieusement sur la compétence des gens du CNEN.

En fin 2014, comme il déplait au pouvoir en place de François Hollande, il est remplacé par Jean-Bernard Lévy.

Jean Bernard Lévy décide de mettre en place un nouveau COMEX et les gens issus de l’entreprise se font rares dans ce comité exécutif.

Il prend une sage décision en séparant le parc en exploitation qui a ses soucis de management et qui doit préparer le grand carénage du parc en construction et nouveau un Directeur du Nouveau Nucléaire.

L’idée est excellente mais pour quelles raisons choisit-il de faire diriger ce Nouveau Nucléaire par un homme qui n’a aucune expérience dans ce domaine ? Tout comme on remplace également le Directeur de l’Aménagement par un homme sans expérience dans le nucléaire.

Devant les hommes aguerris du CNEN, enfermés dans leur citadelle, le Directeur du Nouveau Nucléaire, homme intelligent et sympathique, mais manquant cruellement d’autorité n’aura aucune chance de s’imposer. Et c’est bien ce qui se passe. Il manque aussi de connaissance des relations avec l’ASN et cela se verra tout au long du chantier jusqu’au mois de juin 2019.

L’affaire du couvercle et fonds de cuve éclate en janvier 2015. Elle mettra 2,5 ans à trouver une issue en fin 2017. Pendant ce temps-là, le chantier HPC commence et il faut déterminer le design de l’EPR 2

Mais dès 2017, il est complètement absorbé par le mariage d’EDF avec AREVA-NP et la création d’une ingénierie commune jusqu’à la recréation de Framatome, société filiale d’EDF.

AREVA S-A étant la société en charge de terminer le chantier finlandais et surtout de porter les dettes de cette sinistre affaire.

Puis dès 2018, il est confronté à l’affaire des soudures des circuits eau et vapeur qui se terminera par un fiasco monumental en juin 2019.

La réalité est cruelle mais la succession de Présidents, quelle que soient leurs qualités, à la tête d’une entreprise inscrite sur le long terme est préjudiciable à l’entreprise.

Les politiques qui ne voient pas plus loin que leur mandat, imaginent que les entreprises vivent dans les mêmes cycles ce qui est une erreur profonde.

Fin