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« Après le vote des Etats au Conseil du 15 avril dernier et la décision d’exclure le nucléaire des financements européens et de la taxonomie, #ClaudeFischerHerzog s’interroge sur le manque de vision..
Après leur vote au Conseil du 15 avril dernier et la décision d’exclure le nucléaire des financements européens et de la taxonomie, on ne peut que s’interroger sur le manque de vision et de prospective des Etats européens.
Alors que le contexte inédit de la crise sanitaire et économique appelle des mesures de soutien sans précédent à nos industries européennes, les Etats risquent d’entraver une reprise qui sera d’autant plus difficile et longue qu’elle devra s’adapter aux mutations.
En effet, l’électrification de nos modes de vie et de production, celle des usages, bouleverse notre système économique.
Tous les secteurs doivent s’adapter pour répondre à la fois à l’impératif climatique et à l’impératif industriel, et retrouver la croissance et l’emploi. Croire que nous allons pouvoir construire la transition énergétique et écologique en demandant de réduire notre consommation énergétique par deux comme le demande la Commission est irresponsable et irréaliste : non seulement il faudrait expliquer comment réaliser une profonde décorrélation entre le PIB et la demande d’énergie, mais après la période de confinement, les Européens ne voudront pas subir des contraintes accrues sur leurs conditions de vie. Or le « Green deal » n’est pas une stratégie énergétique industrielle. Il impose des choix technologiques au mépris de ses propres principes de « neutralité » et sans tenir compte de la diversité des atouts des pays de l’Union européenne, et sans bâtir les solidarités pour aider les pays à diversifier leur mix ou à l’adapter pour réduire leur empreinte carbone.
Aujourd’hui, à la perte de productivité, l’appauvrissement de couches entières de la population, le chômage massif provoqués par le confinement, risquent de s’ajouter les effets pervers de choix contre-productifs : la priorité à toujours plus d’énergies renouvelables électrogènes (EnR), chères et intermittentes, et l’affaiblissement de l’énergie nucléaire, stable, compétitive et durable.
Il n’y a que l’Union européenne pour discriminer une industrie performante et sûre, « essentielle » en période de crise sanitaire.
Les institutions internationales reconnues et qui font autorité comme le GIEC et l’AIE le disent : pas de transition énergétique durable sans le nucléaire !
L’Europe possède une industrie nucléaire performante et sûre que de nombreuses régions du monde nous envient. C’est 50% de l’électricité décarbonée de toute l’Union européenne, 75% en France. Ses ouvriers, ses techniciens et ses ingénieurs sont aujourd’hui au front pour que les malades puissent bénéficier de soins massifs dans les hôpitaux, avec des technologies de pointe, et pour que les autres puissent vivre « confinés » sans pannes de lumière ou d’internet. Sans eux, aucune gestion de crise ne serait possible ! Ses chercheurs sont aussi au front pour inventer de nouvelles applications dans la lutte contre le coronavirus, et le secteur a été déclaré « critique et essentiel » par le Conseil National de Sécurité(1).
Partout dans le monde où les pays ont fait le choix du nucléaire, en Chine ou en Russie, et même aux USA, les politiques publiques soutiennent leur industrie. Même en Europe, au Royaume-Uni ou en Finlande, les Etats ont favorisé (en dérogation à la politique de concurrence de l’Union) des montages financiers favorables à l’investissement dans le nucléaire, reconnu comme une énergie durable.
Réformer le cadre de marché et promouvoir les coopérations entre les acteurs.
Mais dans l’Union européenne, sous la pression des anti-nucléaires, des ONG écologistes activistes et d’Etats comme l’Allemagne et l’Autriche, la majorité des Etats ont adopté des règles de marché qui dissuadent les investissements de long terme et discriminent le nucléaire. On subventionne les EnR, mais leur place excessive dans la consommation d’énergie provoque une terrible instabilité des prix, obstacle fondamental à ces investissements, évalués pour le nucléaire à 400 milliards d’euros par la Commission elle-même afin de renouveler notre parc, développer la formation et les compétences, et financer la recherche pour le nucléaire du futur(2). Comment inciter les Etats à investir sans garanties publiques et sans offres de financement spécifiques ? Le nucléaire a besoin d’un cadre de marché moins volatil pour favoriser les investissements et les montages financiers, encourager les coopérations d’acteurs comme en Finlande avec son modèle Mankala. A défaut, le gaz ou même le charbon, bon marché, viennent compléter les EnR intermittentes. En termes de climat(3) et de santé(4), pas sûr que l’Europe y gagne !
De nombreuses voix dans l’industrie et dans la société(5) se sont élevées pour demander à la Commission européenne de ne pas céder aux sirènes anti-nucléaires et d’inclure le nucléaire dans la « finance durable » ou « taxonomie verte ». Ce n’est pas les « pro » contre les « anti », mais ce sont des acteurs de sensibilités différentes, d’horizons divers et de plusieurs pays d’Europe, soucieux de défendre l’industrie et les huit cent mille travailleurs du secteur. Certes ils sont quatorze Etats en désaccord sur l’avenir du nucléaire pour eux-mêmes. Mais au nom de quoi ceux-ci pourraient-ils interdire aux autres de pouvoir en faire le choix et de bénéficier – comme pour les autres sources décarbonées – d’incitations ? Les incitations aux renouvelables ont créé de redoutables effets pervers, que la crise sanitaire actuelle révèle avec encore plus d’acuité(6), et pourtant la Commission a fixé des objectifs qui non seulement feront exploser le système et les coûts avec une part d’EnR dans l’électricité égale à 80% en 20507, 100% en 2100, s’inscrivant contre tout principe de diversité technologique garantissant une plus grande sécurité énergétique en Europe.
Une belle occasion manquée
Avec la taxonomie, les Etats avaient une belle occasion de faire un bon choix politique et de contribuer à la réforme du cadre de régulation. Assorti d’un pacte de solidarité énergétique pour n’exclure aucune source décarbonée, ils auraient ainsi pu organiser la vie des sources sur le marché sans discrimination. Mais ils lui ont refusé le « label vert » qui lui permettrait d’accéder à des fonds européens, considérant le nucléaire comme une « énergie de transition », au même titre que le gaz naturel dont chacun sait qu’il émet du CO2…contrairement au nucléaire(8) ! Par ailleurs, l’argument de la production de déchets nucléaires pour justifier ce refus ne tient pas(9), car les solutions existent et des pays comme la Finlande, la Suède ont pris la décision d’ouvrir des centres de stockage en couches géologiques profondes, la France ayant reporté une fois de plus la décision après le débat public de 2019 ouvert dans le cadre du PNGMDR(10).
On est surpris que la France ait voté le texte sans exprimer de réserve, au mépris de son industrie et de sa propre intervention en octobre, quand Bruno Le Maire demandait l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Aujourd’hui, Paris demande à Bruxelles de lancer « une réflexion au niveau européen pour donner aux États un cadre plus cohérent pour assurer le financement des outils de production d’électricité décarbonée […] à travers une politique industrielle européenne ». Paris propose par ailleurs un prix plancher du carbone, notamment en renforçant la réserve de stabilité du marché européen du carbone(11). Mais de nucléaire ? Pas un mot ! Après la fermeture de Fessenheim (alors que même l’ASN considérait la centrale sûre), les industriels s’inquiètent d’une réduction de la production nucléaire à court et moyen termes, s’interrogeant par ailleurs sur la compétitivité du secteur quand les prix – qui représentent de 30 à 60% de leurs coûts de production – divergent avec l’Allemagne qui produit et vend son électricité carbonée à des prix défiant toute concurrence(12).
Rouvrir le débat pour mobiliser tous les acteurs de la société
A Helsinki, les Entretiens Européens(13) ont proposé de rouvrir le débat public pour une révision de la stratégie énergétique européenne. Il est urgent de mobiliser les usagers, les producteurs, les enseignants et les jeunes, les experts et les chercheurs pour promouvoir de nouveaux projets de production électrique décarbonée où le nucléaire trouvera toute sa place. La pandémie du Coronavirus projette tous les pays du monde dans une crise économique qui va devoir mobiliser tous nos efforts pour éviter une dépression durable en Europe(14) et pour soutenir les pays les plus vulnérables qui comme en Afrique risquent de vivre des situations dramatiques et auront besoin d’investissements dans des projets d’électrification pour pouvoir produire et se soigner. Le « Green Deal » ne pourra pas répondre aux besoins de solidarités humaines et productives qui s’expriment aujourd’hui comme jamais. Pour redémarrer nos industries et innover dans de nouveaux modes de production et de consommation compatibles avec l’avenir de notre planète, la technologie nucléaire est un allié formidable. L’Union promet liquidités et crédits pour soutenir notre économie, les Etats font crédit avec des garanties budgétaires pour « sauver » ses fleurons industriels et leurs emplois : sans lâcher la bataille pour une reconnaissance du label vert au nucléaire et au financement de ses technologies diversifiées(15), réouvrons le front de la réforme du marché pour en faire un espace de solidarités et créer une dynamique d’investissements, construire une économie de biens publics où l’énergie, et le nucléaire en particulier, seront valorisés.
Paris, le 30 avril 2020
6 Comme le relève France stratégie dans sa note du 21 avril relative à l’impact de la crise du COVID-19 sur le système électrique : « la chute de l’activité économique augmente la part relative des EnR intermittentes, ce qui accroît la volatilité des volumes produits et des prix et nécessite la présence de plus de moyens flexibles sur le réseau, alors que ceux-ci se trouvent mis à l’arrêt ».
7 Cf. l’étude de l’AEN sur les coûts de la décarbonisation – System costs with High Shares of Nuclear and Renewables – AEN, OCDE, 2019
8 Voir le communiqué de Sauvons le Climat : « Le nucléaire écarté des financements durables en Europe ? Une aberration ! » www.sauvonsleclimat.org
9 Voir l’étude sans appel d’avril 2020 du CEPN qui met en regard la gestion des déchets radioactifs et les critères d’absence de préjudice significatif à
l’environnement « Do No Significant Harm to the Environnement »
10 Retrouvez les débats et les recommandations des Entretiens Européens de Paris sur « La gestion des combustibles usés et des déchets nucléaires en Europe.
Les solutions existent, il faut les mettre en œuvre » – Octobre 2018. www.entretiens-europeens.org
11 Cf. La note transmise à ses voisins européens avant le Conseil Énergie du 28 avril
12 Cf. Les Echos du 30 avril « La chute du nucléaire inquiète les industriels ».
13 « Une nouvelle ère électrique avec le nouveau nucléaire » – Helsinki les 12, 13 & 14 novembre 2019. Actes disponibles sur le site www.entretiens-europeens.org
14 Voir l’article de Philippe Herzog « Planifier l’espérance » – 25 avril 2020 – www.entretiens-europeens.org
15 Le texte adopté le 15 avril fait partie d’un paquet « finance durable » qui obligera les produits financiers à répondre à des critères stricts pour pouvoir être
présentés comme « durables ». La Commission Européenne prépare maintenant les « actes délégués », à présenter d’ici la fin de l’année, qui établiront ces
critères précis de classement