Le parc nucléaire français est-il « condamné » à avoir un Kd si faible, inférieur à 75 % ?

Le parc français est-il « condamné » à avoir un Kd si faible, inférieur à 75 %, à cause des VD (Visites décennales) et du grand carénage qui sont une « spécialité » de chez nous ? Quelle est la valeur du kd des réacteurs nucléaires allemands ? Des réacteurs américains ?

Réponse de Jean Fluchère, ancien Directeur de centrale.

Le Kd du parc est monté jusqu’à 85 % dans les années 2000. Donc en première réponse nous ne sommes pas condamnés à végéter aux valeurs actuelles.

Voici l’évolution récente du Kd

Pour 2021 le Kd est actuellement à 71,8 % ce qui me laisse penser que nous dépasserons de peu celui de 2020. C’est plus l’effet de la pandémie qui a fait perdre 2 points depuis 2019 qu’autre chose.

Quelles peuvent-être les explications ?

  1. La taille relative du parc français fait qu’il ne peut pas fonctionner en base comme dans les autres pays, ce qui occasionne des arrêts fortuits pour faire de la maintenance,
  2. La capacité réelle d’EDF et de ses prestataires ne dépasse guère la gestion de 10 arrêts simultanés. Or on constate que dans les périodes propices à la maintenance, nous dépassons souvent plus de 10 tranches en révision-rechargement,
  3. La période de Chevet à l’ASN a été une catastrophe, il a fait arrêter inutilement des tranches en fonctionnement soit pour aller rechercher de minuscules ségrégations de carbone qui même si elles avaient été présentes sur les boîtes à eau de GV n’entraînaient strictement aucun problème de sûreté, soit pour renforcer les digues de Tricastin opérations qui pouvaient être faites tranches en marche comme l’avait proposée EDF. Les travaux de Tricastin ont duré 4 semaines mais comme le patron du parc avait publiquement dénoncé cet abus de pouvoir, il a fait attendre pendant 1,5 mois l’autorisation de redémarrer. Il a fait arrêter une tranche du Blayais car les GV de remplacement n’étaient pas conforme à l’ESPN mais conformes au RCCM. Idem pour un GV de Fessenheim 2 qui avait la virole secondaire inférieure non découpée suivant les règles.
  4. Ces arrêts inutiles perturbent considérablement le planning général des arrêts qui est toujours en chantier. J’ajoute que les périodes de production PV en été ou éolien obligent également à baisser la puissance des tranches, ce qui n’affecte pas directement la disponibilité, mais réduit l’usure du combustible et repousse d’autant les arrêts suivants,
  5. La nouvelle réglementation ESPN, lancée sous A-C Lacoste, dont la justification nous échappe totalement tant le RCCM était déjà plus sévère que l’ASME, demande des dossiers 10 fois plus volumineux que les précédents (l’exemple de la réparation de la fuite enceinte de Bugey 5 dont le dossier était prêt 6 mois après le constat a mis 12 mois à être accepté. Les travaux ont duré moins d’une semaine, épreuve enceinte comprise, mais CHEVET n’a souhaité donné l’autorisation qu’après la présentation à la CLI qui avait lieu 2 mois après la fin de l’épreuve. IL faut voir la quantité de papiers aujourd’hui nécessaire pour présenter une future révision de tranche,
  6. Il règne une course au plus disant sûreté entre l’IRSN et l’ASN. Si l’ASN ne suit pas les souhaits de l’IRSN, Jean-Christophe Niel, pour ne pas le nommer, s’arrange pour que ses équipes fassent fuiter la position IRSN soit dans la presse soit auprès des antinucléaires. Il semble que l’actuel Président de l’ASN remette l’IRSN à sa place. Il faut savoir qu’il y a à l’IRSN beaucoup d’ingénieurs qui ont été contractuels dans les équipes d’ingénierie d’EDF, qui souhaitaient y être embauchés et ne l’ont pas été.
  7. Nous n’avons pas mesuré toutes les perversions de la loi TSN de 2007. Il n’y avait aucune raison pour créer une ASN indépendante ou tout au moins sans encadrer son fonctionnement par au moins des justifications coût-bénéfice pour la sûreté comme à la NRC. Nous avons donc une entité toute puissante où le contrôleur fait évoluer vers du toujours plus les règles de contrôles et de sûreté, et où le contrôlé n’a aucune instance d’appel et doit se soumettre quoiqu’il arrive. Et pourtant, j’ai vécu depuis 1972, le SCSIN dirigé par De Torquat, puis la DCSIN et tous ses directeurs jusqu’à A-C Lacoste, premier Président de l’ASN. Or je peux dire que je n’ai aucun souvenir d’un Ministre ayant interféré avec une position du SCSIN et de la DCSIN.
  8. Il y a aussi une énorme différence, avant il y avait un directeur qui seul pouvait prendre la décision et il y a aujourd’hui un collège ce qui est favorable à toutes les surenchères.
  9. Quand je dirigeais BUGEY, je faisais rédiger un télex où je présentais tout ce qui avait été fait et les levées de restrictions suite aux contrôles des inspecteurs, et je terminais systématiquement par « sauf contre-ordre de votre part, je ferai engager les opérations de redémarrage dès 23 h00 ce jour ». Cela était normal puisque la sûreté repose sur les épaules de l’exploitant. Je n’ai jamais eu de contre-ordre en 7 ans. Aujourd’hui, les Directeurs de CNPE demandent à l’ASN l’autorisation de redémarrer et le retour peut prendre plusieurs jours. C’est une perversion car dans la nouvelle situation, la charge de la sûreté nucléaire du redémarrage repose dès lors sur le Président de l’ASN.
  10. Enfin l’ASN compte aujourd’hui environ 800 ingénieurs jeunes dont au moins 700 n’ont aucune connaissance du terrain. Ils multiplient les exigences livresques et font perdre de vue les fondamentaux de la sûreté en exploitation. Trop de sûreté tue la sûreté.

Je pense qu’il faut viser à revenir à 80 % de Kd mais il faudra plusieurs années.

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