LES CINQ MAUX DE L’EPR

LES CINQ MAUX DE L’EPR

#Flamanville

SYNTHESE

Point de vue de Jean Fluchère

Le 28-10-2019

Cinq maux sont à l’origine des problèmes rencontrés par l’EPR :

  1. Sa naissance,
  2. La débandade d’AREVA NP à la suite de la politique désastreuse d’Anne Lauvergeon.
  3. La désorganisation de l’ingénierie d’EDF après 20 ans sans construction,
  4. L’ASN et les nouvelles réglementations ESPN,
  5. La succession des présidents d’EDF.

Synthèse.

1 – Naissance.

La conception d’un réacteur franco-allemande a conduit à faire un outil hybride Framatome- Siemens d’une complexité considérable comme tout être hybride. Sa réalisation s’avère extrêmement difficile. Marier une conception des REP français et des Konvoy allemand était peut-être une bonne idée mais à l’épreuve, il aurait mieux valu partir d’un réacteur N 4 et le monter au niveau de sûreté exigé pour un G 3 +. Partir toujours de ce que l’on sait faire.

La démarche US de Westinghouse de partir d’un PWR et de le monter au niveau G3 + en cherchant à le simplifier au maximum est sûrement une façon d’envisager l’évolution plus intelligente bien que l’AP 1 200 ne paraisse pas un réacteur que l’ASN aurait certifié.

Puis il faut retenir que l’on parlait depuis longtemps de l’EPR, mais c’était devenu l’Arlésienne, et personne ne se souciait vraiment du REX finlandais et de l’impérieuse nécessité de réaliser les plans de détails et les spécifications techniques. Être passé à côté du REX finlandais en se réjouissant de voir AREVA-NP se planter a été totalement puéril et contre-productif.

2 – La débandade d’AREVA NP de Mme Lauvergeon.

L’absorption de Framatome par AREVA conduite par Anne Lauvergeon, pour de très mauvaises raisons, et le départ de tous les grands spécialistes de Framatome qui entouraient son Président Dominique Vignon a décapité une entreprise dont le savoir faire était réputé dans le monde entier.

La transformation en AREVA-NP et la perte de savoir-faire immédiate qui en a résulté s’est faite sentir dans l’engagement de la construction d’un prototype EPR loin de France. Cette opération a absorbé les gens encore compétents dans une aventure délirante.

Les déficits financiers se sont accumulés malgré la vente de beaucoup d’actifs et AREVA – NP était réellement dans l’incapacité de construire Flamanville 3.

Pendant ce temps, les compétences françaises ont disparu et le lancement de l’EPR français s’est hélas fait dans des conditions tout à fait anormales en 2007.

3 – La désorganisation de l’Ingénierie d’EDF.

Non seulement l’ingénierie EDF n’avait plus rien entrepris depuis les années 1995 mais il en allait de même de toute la filière nucléaire en France.

Le Centre National d’Etudes Nucléaires (CNEN) a voulu renouer avec les pratiques anciennes de citadelles qui régnaient dans les Régions d’Equipement d’EDF avant le lancement de la construction du parc des 900 et 1 300 MW sous l’égide de Michel Hug.

Personne n’a fait le retour d’expérience de la durée de 10 ans de construction des 4 réacteurs N4 qui était déjà un signal d’alarme sur une perte certaine de savoir-faire d’ingénierie et d’aménagement.

Le CNEN a désigné comme Directeur d’Aménagement de jeunes ingénieurs manquant par trop d’expérience pour conduire des chantiers de cette ampleur. N’y avait plus personne pour conduire ce chantier. C’est curieux. Mais il convient de dire qu’être Directeur d’Aménagement demande une présence permanente, une anticipation de tous les instants et n’est pas gratifiant même si c’est un métier difficile.

Le CNEN a marginalisé le SEPTEN qui était l’architecte industriel pendant toute la construction du parc. Mais un centre d’ingénierie ne peut pas tout faire. Il est plus pris par l’action quotidienne et manque de moyens de réflexion et de recul. Malgré les déboires de l’EPR, la leçon n’a pas été tirée et l’on ne fait appel au SEPTEN, devenu Direction Technique, qu’en dernier recours sur des problèmes inextricables pour un centre d’ingénierie. Jouer les pompiers ne forme pas à un rôle de niveau supérieur.

EDF doit remettre en place un architecte industriel.

Plus grave, le Service Contrôle de Fabrications (SCF) grâce à qui aucun matériel n’avait été rebuté lors des arrivées sur les sites avait été dispersé dans les années 1990 car il n’avait plus assez d’activités. EDF dit que ce rôle avait été repris par le regroupement de l’atelier des matériaux irradiés, du groupe des laboratoires, des spécialistes du génie civil TEGG dans un ensemble appelé le CEIDRE mais la réalité n’a pas été cela.

Le CEIDRE est constitué de gens très compétents qui ont été sans cesse submergés par les demandes d’essais métallurgiques sacrificiels. Il y n’a donc pas eu de détachements de spécialistes dans les usines des prestataires et l’on a vite vu les dégâts notamment dans les plots support du rail du pont polaire. Idem sur les chariots provisoires du pont tournant dont les défauts ont été débusqués par l’ASN. Lors de la construction du parc, la métallurgie de Creusot Forge et des usines Framatome de Saint Marcel était suivie par les ingénieurs du BCCN de l’ASN, les inspecteurs qualité de Framatome et les spécialistes du SCF. Lors de la construction de l’EPR il n’y avait plus personne pour exercer la surveillance des fabrications. Comme les forgerons les plus expérimentés avaient disparu et que l’assurance qualité papier ne garantit rien, les non-qualités ont été collectionnées. La longue litanie des fameuses fiches du Creusot a discrédité le travail des métallurgistes. Mais nous le voyons actuellement sur la qualité de réalisation des soudures des circuits eau-vapeur qui ne respecte pas le référentiel imposé. Incident qui coûte au moins trois ans sur le planning alors que les installations sont prêtes à démarrer.

Malgré tous ces déboires, il ne semble pas que le CNEN ait pris conscience de la nécessité de se remettre en question. Il joue toujours la citadelle assiégée et il conduit seul les chantiers des 2 réacteurs d’Hinkley Point ce qui est inquiétant. Reconstituer d’urgence un SCF est indispensable quand on sait qu’Hinkley Point va utiliser beaucoup de fabricants et de prestataires anglais qui n’ont plus construit de matériels et fait des prestations de qualité nucléaire.

Toutes ces non-qualités souvent débusquées par l’ASN ont donné de l’ingénierie d’EDF une très mauvaise image

Si la Direction d’EDF ne remet pas en ordre le logiciel du CNEN en lui imposant d’associer la Direction Technique qui a succédé au SEPTEN et de reconstituer un SCF, le pire est à redouter sur le site d’HPC. Et surtout il faut préparer l’avenir et se tenir prêt pour lancer les EPR 2 dans de bien meilleures conditions.

Il faut aussi savoir que l’Equipement était également un grande Direction des achats de matériels et de prestations sur la base de spécifications techniques très précises mais qui pouvaient évoluer lors des discussions avec les pétitionnaires des appels d’offres. Or depuis les années 2000, EDF s’est dotée d’une direction des achats. On comprend qu’une grande entreprise mette en place une Direction chargée des achats des matériels standards comme les km de câbles, les transformateurs 20 kV/220-380V, les compteurs Linky, les isolateurs, etc. pour réaliser des économies. Mais pour acheter des pièces lourdes en quelques exemplaires et des prestations très spéciales, la Direction des achats n’a pas les compétences. Les spécifications techniques sont complexes et la relation des acheteurs et des techniciens est indispensable.

Là aussi il est essentiel que la Direction des Achats détache quelques acheteurs de haut niveau pour former des binômes acheteurs-techniciens.

4 – L’ASN et la nouvelle réglementation ESPN.

Au début des années 2000 pour des raisons inconnues, l’ASN s’est mise en tête de durcir le RCCM et d’établir de nouvelles normes appelées EPSN.

Ces normes sont très difficiles à respecter avec les meilleurs professionnels. Et sont de plus les normes les plus sévères au monde. Dans le monde entier, à l’exception probablement de la Russie, c’est l’ASME, qui a largement fait ses preuves, qui est l’outil de construction et de maintenance.

La question posée par Yves Bréchet, Haut-Commissaire à l’Energie Atomique, devant l’OPESCT a l’ASN a été très claire : « on sait que de nouvelles normes sont toujours plus onéreuses à respecter. Le normalisateur a le devoir d’expliquer en quoi elles amènent un plus pour la sûreté ». Ceci se passait pendant l’affaire des couvercles et fonds de cuve et l’ASN n’a pas répondu à cette remarque de bon sens du Haut- Commissaire.

Effectivement lorsque cette nouvelle réglementation est arrivée en discussion entre l’ASN, AREVA-NP et EDF, personne ne semble-t-il n’a eu cette réflexion. Et les experts sont rentrés dans des discussions compliquées sans revenir aux fondamentaux. Il ressort tout de même que les experts d’AREVA-NP ont résisté à des impositions « toujours plus » mais que les experts d’EDF, toujours très disciplinés devant l’Autorité de Sûreté, n’ont pas opposé un front commun avec AREVA-NP.

Maintenant qu’elle est adoptée, on fonctionne comme avec toute réglementation, il n’y a aucune marche arrière possible et toute la filière nucléaire française est pénalisée par rapport à ses concurrents dans le monde. Il serait temps que nos fonctionnaires regardent ces aspects de la concurrence mondiale au lieu de plomber l’industrie française.

Mais le jeu des acteurs pendant la construction de l’EPR va devenir très difficile lorsque André-Claude Lacoste est remplacé par Pierre-Franck Chevet.

Ce dernier avait été adjoint d’André Claude Lacoste à la DSIN avant qu’elle ne devienne une autorité indépendante toute puissante. Il avait été reconnu comme un interlocuteur correct par les ingénieurs d’EDF et d’AREVA.

Dès sa nomination, il a été métamorphosé dans le mauvais sens du terme. Il a voulu être ami avec les antinucléaires et dragon avec ses administrés. Ce n’était plus le même homme. Il était passé de posé à quelqu’un qui avait une peur bleue.

Pour les affaires du couvercle et du fonds de cuve sur les ségrégations de carbone, il a été d’une intransigeance démesurée et incompréhensible surtout lorsque l’on sait qu’il a fait partie des ingénieurs du BCCN au Creusot et à Saint Marcel et qu’il en est même devenu le chef. Il ne pouvait pas ignorer les difficultés qu’ont les maîtres de forge à faire des lingots parfaits et homogènes. Il savait parfaitement que les couvercles et fonds de cuve n’étaient pas soumis à une fluence de neutrons rapides les faisant changer de températures de transition.

Il a fallu 2 ans et demi de travail et la destruction de 2 couvercles neufs, les réunions de l’OPESCT, de plusieurs groupes permanents sur l’ESPN pour obtenir enfin quitus de démarrage moyennant cependant le changement du couvercle après 5 ans de fonctionnement.

Mais il est allé beaucoup plus loin en faisant arrêter plusieurs tranches parce qu’il y avait des hétérogénéités de concentration en carbone sur les boites à eau de GV qui sont totalement protégées des flux de neutrons rapides et des chocs froids violents !!!

Pour les professionnels du nucléaire, cet homme vivait dans la terreur et ne pouvait plus revenir en arrière car il médiatisait immédiatement sa peur.

L’EPR n’avait pas besoin de cette période infernale.

Son mandat s’est terminé en 2018 et son successeur prend bien garde à ne pas s’épancher dans la presse avant de discuter des problèmes avec les responsables du parc nucléaire et de sa construction. Aussi sévère que son prédécesseur, comme on peut le voir avec les affaires des soudures des circuits eau-vapeur, les médias ne sont pas parties prenantes dans le processus de décision.

5 –La succession des Présidents d’EDF

Lors de la prise de décision de construire l’EPR en 2007, le Président est Pierre Gadonneix et il restera à son poste jusqu’en 2009.

Il n’a pas connu la construction du parc en exploitation et ne s’est pas trop penché sur l’organisation remarquable mise en place en 1974 par Michel Hug. Organisation qui a permis à la filière nucléaire française de démarrer un parc de 54 unités en 15 ans. Pas sûr non plus qu’il se soit beaucoup intéressé aux raisons qui ont fait que les 4 tranches du N 4 aient nécessité 10 ans pour être raccordées au réseau. Pas certain enfin qu’il se soit posé la question de l’état d’avancement du projet et du REX qu’EDF avait fait de l’EPR finlandais.

Même les premières difficultés de bétonnage ne semblent pas l’avoir trop inquiétées.

Il aurait pourtant dû constater l’impréparation du projet quand il a fallu décider de creuser le conduit de rejet des eaux tièdes en mer avec un tunnelier et pour cela doubler le diamètre du puits à terre.

Un calme olympien !

2009- il est remplacé par Henri Proglio.

Dès son arrivée, il prend conscience que sous Gadonneix, le parc en exploitation a perdu 1 % de disponibilité par an. Il en change toute la ligne managériale et lui donne les moyens de remonter le taux de disponibilité. Notamment le recrutement de jeunes pour faire face aux masses de départ à la retraite et aux moyens de leur formation.

Il prend rapidement la mesure de l’ampleur du projet EPR. Mais il passe les 2 premières années de son mandat à se débattre avec la loi NOME qui crée l’ARENH et se bat comme un chiffonnier pour arracher un prix de vente de l’ARENH de 42 €/MWh contre Mestrallet qui voulait 35 €/MWh. Bref il évite la catastrophe à EDF.

Malgré sa volonté de ne pas participer à l’affaire des Emirats qu’il juge complètement folle, il est embarqué contre son gré par Nicolas Sarkozy, persuadé que la France ne peut que gagner. Henri Proglio était persuadé du contraire mais redoutait le pire. Bien entendu la perte de ce contrat sera imputée à sa mauvaise entente avec Anne Lauvergeon.

En 2011, il est confronté aux conséquences de l’accident de Fukushima. Sur la suggestion du management du parc, il crée la Force d’Action Rapide Nucléaire (FARN) qui reste un élément essentiel de lutte contre les accidents graves. Il doit assumer avec le management du parc les examens complémentaires de sûreté et les retombées en matière de modifications lourdes post-Fukushima.

Il engage le programme de grand carénage des tranches pour permettre la prolongation de leur durée d’exploitation.

Ces affaires le détournent un peu du chantier EPR. Mais il est rapidement confronté à l’affaire des plots support du rail du pont polaire du bâtiment réacteur et au retard que cette affaire va apporter au chantier. De même il doit faire face à la découverte des anomalies des chariots provisoires de manutention du pont polaire. Deux problèmes mis à jour par les inspecteurs de l’ASN ce qui commence à l’interroger sérieusement sur la compétence des gens du CNEN.

En fin 2014, comme il déplait au pouvoir en place de François Hollande, il est remplacé par Jean-Bernard Lévy.

Jean Bernard Lévy décide de mettre en place un nouveau COMEX et les gens issus de l’entreprise se font rares dans ce comité exécutif.

Il prend une sage décision en séparant le parc en exploitation qui a ses soucis de management et qui doit préparer le grand carénage du parc en construction et nouveau un Directeur du Nouveau Nucléaire.

L’idée est excellente mais pour quelles raisons choisit-il de faire diriger ce Nouveau Nucléaire par un homme qui n’a aucune expérience dans ce domaine ? Tout comme on remplace également le Directeur de l’Aménagement par un homme sans expérience dans le nucléaire.

Devant les hommes aguerris du CNEN, enfermés dans leur citadelle, le Directeur du Nouveau Nucléaire, homme intelligent et sympathique, mais manquant cruellement d’autorité n’aura aucune chance de s’imposer. Et c’est bien ce qui se passe. Il manque aussi de connaissance des relations avec l’ASN et cela se verra tout au long du chantier jusqu’au mois de juin 2019.

L’affaire du couvercle et fonds de cuve éclate en janvier 2015. Elle mettra 2,5 ans à trouver une issue en fin 2017. Pendant ce temps-là, le chantier HPC commence et il faut déterminer le design de l’EPR 2

Mais dès 2017, il est complètement absorbé par le mariage d’EDF avec AREVA-NP et la création d’une ingénierie commune jusqu’à la recréation de Framatome, société filiale d’EDF.

AREVA S-A étant la société en charge de terminer le chantier finlandais et surtout de porter les dettes de cette sinistre affaire.

Puis dès 2018, il est confronté à l’affaire des soudures des circuits eau et vapeur qui se terminera par un fiasco monumental en juin 2019.

La réalité est cruelle mais la succession de Présidents, quelle que soient leurs qualités, à la tête d’une entreprise inscrite sur le long terme est préjudiciable à l’entreprise.

Les politiques qui ne voient pas plus loin que leur mandat, imaginent que les entreprises vivent dans les mêmes cycles ce qui est une erreur profonde.

Fin